Les hommes qui l'avaient passée à tabac eurent le loisir de se vanter de leur exploit pendant quatre jours, jusqu'à ce que la fille sortît de l'infirmerie. Son apparition vers midi dans le réfectoire fit forte impression. La base au complet se trouvait là ; Calife lui-même était présent à la grande table des officiers. Tous ses gradés se trouvant encore aux fers ou à l'infirmerie à l'exception de Pasteur, il déjeunait avec quelques-uns de ses soldats. Chacun suspendit son repas pour la regarder entrer. Certains d'entre eux ne l'avaient encore jamais vue d'aussi près.
Elle tenait solidement sur ses deux jambes. Filandrin les regardait avec horreur : il était bien certain d'avoir tiré une balle dans chacun de ses genoux. L'état dans lequel se trouvait encore son visage attestait de la rage qu'ils avaient mis à la casser. Mais elle était là, elle toisait la salle, droite comme un mât de cocagne, ses atours en lévitation. Il y avait pire encore : elle ne portait plus sa tenue d'esclave.
Calife surveillait la réaction de ses hommes. Pour marquer la fin de sa mise à l'épreuve, il l'avait rhabillée à leurs couleurs, en mélangeant les genres : elle portait toujours une tunique de lin courte, celle des esclaves, mais sur un pantalon de grosse toile sable, la couleur des soldats, qui lui enserrait la taille et les cuisses. Elle n'était plus pieds nus, mais comme eux chaussée de brodequins. Elle n'avait pas d'arme à la ceinture. Ses cheveux dissimulaient totalement son crâne et maintenant que les hématomes autour de ses orbites s'étaient un peu résorbés, ils voyaient mieux ses yeux étonnants. Ils étaient dorés, de plusieurs tons plus clairs que sa peau et dégageaient un orgueil féroce. Elle était presque libre maintenant. Calife trouva sa manière de l'exprimer – son apparition en plein repas – un tantinet agressive.
Quand elle remonta l'allée centrale, la plupart des soldats plongèrent le nez dans leur assiette, seul Hub lui fit un petit geste de bienvenue. Elle salua Claustro qui n'osait pas trop la regarder, sa voix tinta bien clairement dans la salle muette. Le cuistot ne lui répondit pas, mais il lui servit de son ragoût assez largement, accompagné d'un grand verre d'eau pure.
Lorsqu'elle se retourna pour faire face à la salle, le niveau de tension était à son maximum. Elle prit la direction de la table de Calife.
Lorsqu'elle passa à côté de lui, Nikki avait les oreilles toutes rouges. La fille s'assit à côté de son chef dans un silence particulièrement bruyant. Les conversations repartirent dans un éclat dès qu'elle se pencha sur son assiette.
Calife accepta de donner le change. Si l'un de ses hommes avait mal réagi, il aurait eu du mal à la défendre. Une femme à table ! Heureusement, Vizir n'était pas là.
Sur le ton de la discussion, il la chargea de quelques tâches dans la base. En face de lui, Pasteur mangeait en silence, concentré sur son assiette. Les trois autres soldats qui partageaient sa table avaient plus de peine à poursuivre leur repas. Nyomê, un Somali à la carrure d'athlète et son voisin l'Indien la regardaient, immobiles. Directement à sa droite, à vingt centimètres d'elle, Beau Brun jouait dans son assiette avec sa fourchette, en se tortillant sur le banc.
Il était presque sur ses genoux quand elle finit son verre d'un trait, puis se leva pour porter son plateau en cuisine. Calife avait rejoint son bureau et le réfectoire se vidait lentement depuis quelques minutes. Le mouvement s'accéléra lorsqu'elle se dirigea en direction de la cuisine pour y coincer Claustro, mais personne ne put ignorer le cunnilingus sonore qui suivit.
Le cuistot se proposa ensuite de l'accompagner dans ses tâches de l'après-midi. Calife lui avait demandé de curer le lac de retenue du dock, au dernier sous-sol de la base. Chargé de râteaux, de pelles et de seaux, Claustro présenta les lieux à la fille. Contrairement au reste de la base qui était construite en acier et en béton, le dock était une immense cavité naturelle aux parois taillées dans la pierre. Des passerelles étaient aménagées autours de la retenue d'eau au-dessus de la terre battue.
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La fille | Tome 1
Ficção CientíficaAn 762 après la guerre qui a transformé la Terre en désert. Au nord, l'Europe agonise au-delà du no-man's land, dans des villes souterraines d'où ne sortent que des armes, de rares prisonniers et de la dope. Au sud, l'Afrique s'embrase après la mort...