Les premiers rayons du jour les tirèrent du sommeil, transis de froid. La fille était déjà occupée à dépoussiérer les sièges des véhicules du sable qui les avait recouverts dans la nuit. Les hommes démontèrent les tentes, se réchauffèrent un peu autours d'une tasse de café, puis la troupe reprit son chemin dans la lumière aveuglante du matin.
Vers midi, sans avoir croisé âme qui vive, ils trouvèrent le village mourant que Calife ne pensait plus retrouver. Le sable avait commencé à ensevelir la palissade extérieure, faite d'os et de bouts de ferraille posés les uns contre les autres. Il y errait trois chèvres et une famille. Le patriarche, prénommé Ytion, les accueillit à bras ouverts. En effet il n'était pas mort, mais il était si vieux et si sec qu'il avait déjà l'aspect d'une momie. À chaque fois qu'il parlait, la seule dent qui lui restait menaçait de tomber de sa bouche. Le vieillard leur présenta ses trois fils, tous plus jeunes qu'un homme. Il leur servit un thé brûlant sans s'étonner de voir la fille suivre Calife comme son ombre.
Calife demanda des nouvelles de ce coin de désert, où il n'était pas revenu depuis près de deux ans. Le vieux eut un soupir racorni. Les affaires n'allaient pas fort. Il avait encore des fournisseurs, quelques caravanes passaient toujours par chez lui, mais il n'avait plus de clients. Même les Chiens étaient partis. Calife aurait pensé que c'était plutôt une bonne nouvelle.
– Vous commerciez avec eux ?
– Bien sûr, grinça Ytion, il suffit de ne pas vendre de chimie... et pas d'armes.
D'un doigt tordu et fripé, le vieil homme pointa le pistolet de Calife à sa ceinture. Calife salua le bon sens du vieillard d'un hochement de tête. C'était une règle élémentaire de la sécurité personnelle dans le désert : quand on ne savait ou ne pouvait pas faire usage des armes, il valait mieux ne pas en détenir. Lui-même ne troquait jamais de munitions quand il se trouvait dans Afold, mais achetait au contraire tous les stocks rencontrés. Il empêchait ainsi les Chiens de s'armer convenablement et réduisait leur dangerosité.
La drogue, c'était encore autre chose. Cette denrée défiait les lois du commerce ordinaire ; plus souvent volée que vendue, elle semait la mort sur son passage. En tant que point de chute des invendus et du recel européen en provenance de Napis, la ville de Touhary était la première pourvoyeuse en speed de tout le désert, jusqu'en Afrique, et ce malgré les efforts de la ville de Magnanis pour faire rempart à ses ravages. La drogue était indissociable des armes, si vous ne les utilisiez pas vous-même pas, il valait mieux s'abstenir de détenir la dangereuse marchandise.
De sorte que la paix était un cercle vertueux qui prenait difficilement racine dans le désert. Ytion devait sa longue survivance dans les dunes à sa capacité exceptionnelle à se tenir éloigné des armes et des drogues ; Calife suivait une autre logique, qui avait aussi fait ses preuves : sous la Montagne, l'apprentissage des armes étaient obligatoire, même pour les ouvriers, les esclaves et les enfants, alors que la drogue était interdite pour tout le monde.
Les trois fils aidèrent les soldats à remplir leurs jerricanes pendant que le patriarche présentait à Calife ses autres possibilités de ravitaillement. Il avait de l'eau, des pièces de rechange, un peu de fruits secs troqués quelques semaines plus tôt au passage d'une caravane qui venait du comptoir chinois. La fille lui suggéra de prendre des bananes, des cacahuètes et des dattes pour la suite du voyage. Calife paya le vieillard en déposant à ses pieds une pleine caisse de vis et de boulons.
Ils remirent cap sur Touhary sans attendre.
À mesure qu'ils remontaient vers le nord, le soleil se faisait de plus en plus ardent. Après avoir franchi les Carpates, ils seraient contraints de voyager sous la lune ; les dunes des Flandres étaient infernales de jour.
Ils s'arrêtèrent et montèrent un nouveau campement dans le creux d'un amas rocheux lorsque la fraîcheur de la nuit vint les soulager de la morsure du soleil. La fille se posta à son sommet et commença à faire la girouette dans tous les sens du vent. Calife la trouva anormalement nerveuse.
Dos prépara des galettes qu'ils mâchèrent en silence, après quoi chacun se coucha. La fille se chargea encore de tous les quarts, que seul Calife vint perturber.
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La fille | Tome 1
Ciencia FicciónAn 762 après la guerre qui a transformé la Terre en désert. Au nord, l'Europe agonise au-delà du no-man's land, dans des villes souterraines d'où ne sortent que des armes, de rares prisonniers et de la dope. Au sud, l'Afrique s'embrase après la mort...