Le lendemain, la fille avait toujours ses airs inquiets. Debout dans le Hummer, elle scrutait tous les horizons. Plusieurs heures avant d'arriver à l'escale suivante, elle dit à Calife qu'il n'y aurait rien au bout du chemin.
En effet, ils ne trouvèrent au lieu de la station-service attendue qu'un tas de ferraille tordue par le feu. Il y avait des cratères qui lui donnaient un air lunaire dans un rayon d'une vingtaine de mètres. Le sol était largement éventré là où devait se trouver enterrée la cuve à pétrole. Le sable avait commencé à recouvrir les vestiges du refuge et ils trouvèrent des restes de corps en très petits morceaux déjà bien secs. Cela faisait plusieurs jours que l'endroit avait été attaqué.
Les hommes se concertèrent. Ce genre de mauvaise surprise était tout à fait inhabituel pour le calme d'Afold, Calife y veillait depuis des années. Les Chiens étaient parfaitement incapables de faire de tels dégâts et il semblait bien de toute façon qu'ils n'étaient plus dans le secteur. Avaient-ils été chassés vers le sud par plus gros qu'eux ?
Il y avait ces dernières semaines un peu trop de monde dans les parages, se dit Calife en regardant la fille. Ses sourcils faisaient un V qui le préoccupaient. Il était risqué de continuer d'avancer sans avoir ravitaillé les moteurs, Touhary était hors de portée de réservoirs et il y avait les montagnes à traverser. Calife réfléchissait au centre de la ronde qu'ils avaient formée, Vizir se prenait la tête dans les mains. Le second finit par se lever pour accuser la fille d'un index véhément.
– C'est sa faute ! Pourquoi ne sommes-nous pas passées par Medina ?
Calife s'irrita :
– Parce que son idée était meilleure.
– On le voit ! répondit l'officier sur un ton sarcastique.
– Oui, on le voit, alors qu'on aurait pu passer à côté. Moi, j'aimerais savoir qui a fait ça devant chez moi.
Vizir ne répondit pas. Calife regarda la fille qui tournait autour de leur ronde avachie, le nez dans le vent depuis qu'ils avaient arrêté les moteurs. Ce qu'elle n'avait pas pu prévoir méritait forcément leur attention.
Elle choisit cet instant pour murmurer :
– Je reconnais la méthode... Ce sont des Boomers. Je me demande ce qu'ils font de ce côté des Doloms. Ils ont quittés cet endroit depuis plusieurs jours, mais ils sont rapides, aussi bien motorisés que nous et ils vont revenir.
Ses propos furent accueillis par un profond silence.
Les Boomers étaient un peuple de l'Ouest qui dominait la côte atlantique, très loin de la poussière d'Afold. Ils devaient leur nom à leur attrait pour les explosifs et les armes lourdes qu'ils achetaient à l'Europe et dont ils s'étaient fait une spécialité. Leur force résidait plus encore dans leur nombre. Calife n'avait plus entendu parler d'eux depuis un moment, mais il y avait quinze ans de ça, on comparait leur Fortresse, le château de béton qui leur faisait office de ville, à une boîte à sardines dans laquelle ils atteignaient le millier d'âmes. La rumeur disait aussi qu'ils avaient mis au point une méthode de fertilisation des femmes qui leur avait permis de tripler leur population en quelques décennies et qu'ils vendaient les surplus à l'Europe. Bâtisseurs, démolisseurs et marchands d'esclaves, ils étaient des guerriers brutaux, riches, forts et puissants, mais normalement très lointains.
À cet instant, Calife se souvint que la fille lui avait déjà parlé des Boomers : c'était trois jours plus tôt, dans son bureau. Elle avait écrit le nom de leur base sur sa carte, au bout de la rivière cachée. Il se souvint également qu'il n'en avait pas encore parlé à son second.
Vizir se tourna vers Calife, visiblement embarrassé.
– Qu'est-ce qu'elle a dit ? Des Boomers ?
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La fille | Tome 1
Science-FictionAn 762 après la guerre qui a transformé la Terre en désert. Au nord, l'Europe agonise au-delà du no-man's land, dans des villes souterraines d'où ne sortent que des armes, de rares prisonniers et de la dope. Au sud, l'Afrique s'embrase après la mort...