Il fallut les jours et les nuits de trois semaines pour que l'entrain de la base reprît le pas sur l'agressivité. Les hommes se mirent à fréquenter le réfectoire avec meilleur appétit, ils y étaient plus nombreux à l'heure des repas. Claustro avait inauguré une nouvelle soupe qui passait bien dès le matin. Surtout, on attendait de voir la fille. Les ouvriers parlaient beaucoup d'elle, mais on ne la voyait pas alors que son ouvrage était visible partout.
On découvrait de jour en jour à quel point l'éclat du métal propre pouvait ravir l'œil d'un soldat. Sur son passage, la fille nettoyait tout à grande eau. Après la cuisine et le réfectoire, les hommes rentrèrent le soir dans des dortoirs propres et des draps dépourvus de grains de sable ; quelqu'un avait remis en route toutes les machines à laver et même le séchoir de la laverie – là aussi, il avait suffi de changer l'ampoule au plafond –, ciré leurs pompes et on entendait parfois à travers les murs et les canalisations une petite musique, quelqu'un qui sifflotait en travaillant. Finalement, le système électrique avait tenu le choc. Ou alors il avait été réparé. L'armurerie retrouva sa superbe et n'importe quel soldat entrait là en bandant, fusils et pistolets bien alignés sur leurs claies, les munitions triées, les outils d'entretien et de rechargement à portée de main.
La fille restait discrète, elle travaillait seule loin des soldats et rendait visite chaque soir à Calife. Ces comptes-rendus commençaient toujours par une pipe et un cigare. Ses lèvres lui étaient devenues tout à fait indispensables, tout comme ses fesses et ses seins, dont il alternait l'usage pour pouvoir satisfaire du mieux qu'il pouvait les besoins qui le tiraillaient dès qu'elle apparaissait.
Elle était plus belle que jamais. Elle ne portait plus aucune trace de ses blessures et son visage apparaissait pleinement. Il était fin et régulier, d'une jeunesse déroutante. Quand elle avait envie de baiser, elle devenait souriante. Calife l'avait autorisée à se laisser pousser les cheveux. Ceux-ci se révélèrent d'un noir profond qui exaltait l'or de ses yeux. Des fois, quand il avait fini d'en jouir, pour la féliciter d'être si belle et si bonne, il lui servait un verre de son whisky.
Le délai d'un mois donné aux hommes pour se venger impunément touchait à sa fin.
En tendant l'oreille, Calife entendait encore quelques aigreurs ronfler dans la base. Parmi les soldats s'étaient formé un clan d'irréductibles qui refusaient toujours en bloc la présence de ce corps étranger. Que les coupables de l'infirmerie fussent aux fers n'y changeaient rien. Dos était un adepte de la violence et s'était formé un solide clan de brutes ; même depuis sa geôle il continuait à répandre son poison. Ses hommes de main attendaient simplement une opportunité.
Une occasion se présenta lorsque le jeune Nikki, l'un de ses disciples, vit la fille crapahuter sur les roches de la face nord, en début d'après-midi. Calife et Cric lui avaient laissé le soin de désensabler les premiers conduits d'aération et leurs immenses pâles, tâche ingrate et épuisante qu'il fallait recommencer toutes les semaines si l'on voulait éviter de graves désagréments. Elle était partie toute de pelles et de cordes, les conduits n'étant accessibles que par voie d'escalade. Nikki savait qu'il avait plusieurs heures pour préparer son coup : le sable était fin et lourd, le soleil du désert impitoyable.
Le soir tombait, la fille achevait de jeter dans le vide le sable de la congère qu'elle avait formée à grandes pelletées sur la plate-forme. Derrière elle la grande hélice qui ventilait le conduit de deux mètres de circonférence tournait lentement en produisant un long grincement. Ils surgirent à ses côtés en empruntant les cordes qu'elle avait laissées derrière elle. Ils étaient cinq, armés de pistolets et de couteaux. Nikki les menait, Tino, Ruster, Filandrin et son frère Ruffian le suivaient. Elle n'avait pas vraiment l'air surprise. Elle posa sa pelle doucement, leur fit face, leva les mains au-dessus de sa tête.
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La fille | Tome 1
Science FictionAn 762 après la guerre qui a transformé la Terre en désert. Au nord, l'Europe agonise au-delà du no-man's land, dans des villes souterraines d'où ne sortent que des armes, de rares prisonniers et de la dope. Au sud, l'Afrique s'embrase après la mort...