Dès le lendemain, la fille s'attacha à se rendre utile partout où elle le pouvait tout en restant invisible. Elle entreprit de remettre en route les différents éléments inactifs ou défectueux de la base et il devint clair qu'elle farfouillait comme bon lui semblait dans leurs outils. Au vrai, elle avait discrètement fait la connaissance d'une personne déterminante dans son insertion sociale : Cric. Âgé d'une cinquantaine d'années, c'était le doyen de la troupe et historiquement le premier soldat aux ordres de Calife. Il était maintenant le mécanicien en chef de la base. Sous la Montagne, la mécanique automobile et l'entretien des armes étaient réservés aux soldats. Avec une petite équipe composée de Calibre, Beau Brun et du jeune Tino, il couvait de ses soins le parc motorisé de la troupe et sa puissance de feu. L'entretien de la base était pris en charge par les ouvriers, dont il était également censé superviser le travail. Son âge avançant, il avait délégué certaines tâches, puis s'en était désintéressé jusqu'à ne plus savoir qui en était chargé. Seuls comptaient ses bolides. Les performances de la jeune fille sous l'Oasis l'avaient sidéré et lorsqu'elle s'était présentée sur le seuil de l'Atelier, il était tombé sous le charme de ses yeux de lionne. Elle avait demandé des pièces et des outils, il les lui avait fournis sans un mot. Même Beau Brun n'avait pas le droit de toucher à son précieux matériel.
Dans les jours qui suivirent s'éleva doucement dans la base un zonzonnement imperceptible pour celui qui n'était pas habitué au silence de la Montagne, l'air à l'intérieur de la structure devint plus clair et plus frais, moins épais. On découvrit que le couloir qui menait de l'Atelier aux entrepôts était muni d'un grand plafonnier et l'on retrouva lorsqu'on l'alluma un carton insignifiant, dans lequel avaient été abandonnées des courroies d'une valeur inestimable aux yeux de Cric.
Le soir, la fille avait encore profité de l'accueil du Doc, dormant et mangeant dans son infirmerie. Le docteur shootait consciencieusement Vizir pour pouvoir discuter avec elle sans être dérangé. Il aimait bien, elle n'en profitait pas pour dire des conneries. Pas comme d'autres. Elle avait une conversation calme et posée. Elle lui posait des questions sur la base, son fonctionnement, ses habitants, beaucoup de questions. Il lui répondait avec patience tout en changeant ses bandages – elle avait ramené des kilomètres de tissu propre de la laverie. Seul son genou droit nécessitait encore des soins. Sa jambe avait tenu le choc ; il ne regrettait pas de la lui avoir laissée.
– Tu dois toujours te méfier de Vizir, de Dos et de leur petite clique. Fais attention à Nikki. Je crois que quelques crétins lui prêtent une oreille attentive.
– Je sais me défendre.
– Ouais, on sait. Tu vaux mieux que tous ces abrutis.
La fille mâchouillait une pâte bizarre préparée spécialement pour elle par Claustro. Il s'en dégageait une odeur de réglisse. Elle changea de sujet, comme elle faisait tout le temps.
– Vous êtes combien, ici, à savoir lire ?
– Je dirais une petite, toute petite dizaine en étant optimiste et encore moins à savoir écrire. Des types comme Dos ou Braque sont parfaitement illettrés.
– Et à savoir utiliser une interface informatique ?
– Une quoi ? On a un informaticien et deux techniciens, si c'est ce que tu veux dire, mais il n'y a que Calife et Vizir pour savoir de quoi ils parlent. De toute façon, notre matériel est très limité.
– Dis-moi.
Elle était vraiment très curieuse. Elle pencha la tête sur le côté, avec un sourire. Il trouva l'argument valable.
– Eh bien, on a un réseau de surveillance vidéo, plus un réseau de haut-parleurs et d'interphones mais des tas de salles sont aveugles et muettes. Le réseau de refroidissement est automatisé, sauf qu'avec le sable les gars passent leur temps à nettoyer les conduits d'aération. On a aussi une salle de radar, pour la surveillance des alentours. Tout ça est plus ou moins entretenu par Net et Cric, donc je crois que ça ne marche pas. Ils ne se battent pas pour bien faire si tu veux mon avis.
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La fille | Tome 1
Science FictionAn 762 après la guerre qui a transformé la Terre en désert. Au nord, l'Europe agonise au-delà du no-man's land, dans des villes souterraines d'où ne sortent que des armes, de rares prisonniers et de la dope. Au sud, l'Afrique s'embrase après la mort...