5 mars 762

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Calife servit deux whiskys, la fille frappa à la porte.

Il n'en était même plus étonné maintenant.

– Bonsoir la fille.

– Bonsoir Calife.

– Les travaux avancent comme tu veux ? Je ne reconnais pas l'Atelier à chaque fois que j'y passe.

– On a fini. On va passer à la suite : les jardins de Claustro.

– Très bien. Je te garde pour moi ce soir.

– J'aurais besoin de me laver.

Elle avait l'air épuisée, mais heureuse, comme si elle avait copulé sans interruption depuis leur retour – ce qui ne manquait pas de vérité. Sa tenue militaire accusait le coup de ses travaux au milieu du cambouis et de la ferraille, sa peau exhibait les mêmes taches. Elle sentait le tabac et la graisse à moteur.

Il retrouva sur ses lèvres le parfum qui faisait sourire ses hommes depuis quelques jours. La crasse qu'elle avait ôté des murs, du plafond de verre, des ventilos se retrouvaient sur ses bras et ses épaules. Toute l'après-midi, elle avait charrié pour Doc des caisses de médicaments arrivées de Valentine. Elle en portait les marques sur les biceps. Sous son odeur de havane, il devina la dernière soupe de Claustro. Elle était tout ce qu'il aimait ici.

Il avait hâte de repartir avec elle dans les dunes. En ce moment, il sentait son cœur bouillonner de désir. Il avait envie d'éclat, d'inconnu, de danger. Il ne s'était jamais senti aussi vivant. La perspective de retrouver le Comte Neige et de revoir Magnanis avec elle l'excitait au plus haut point.

Sa dernière visite dans la capitale remontait à quatre ans, au moins. C'était la perle du désert, la capitale des dunes selon l'avis unanime de ceux qui avaient eu la chance de la voir un jour, rayonnante de mille feux à des lieues autour d'elle. Le Comte Neige en était le guide spirituel et militaire depuis dix ans. Le grand homme venait de perdre Napis quand Calife l'avait croisé dans les dunes des Flandres. Ses qualités de stratège et de diplomate n'avaient pas suffi à le maintenir sur le trône de sa cité, mais elles permirent à Calife de conquérir Afold. Le Comte s'était assis avec la même facilité sur le trône de Magnanis.

La ville était puissamment fortifiée et résistait aux assauts armés depuis des siècles. Elle avait appartenu jadis à l'Europe, avant de prendre son indépendance. Immense, populeuse, vivante, il y prospérait un marché d'armes de réputation continentale. La ville possédait plusieurs sources et ses propres potagers, il y avait des arbres dans ses rues et des fontaines sur ses places. La paix de ses murs recelait l'unique bibliothèque du désert, des laboratoires, des théâtres. On y pratiquait toutes les sciences et tous les arts.

Cela faisait beaucoup de raisons pour préparer un nouveau voyage, une nouvelle aventure, de fabriquer des armes et des tomates et avec tout ça, Calife bandait vingt-quatre heures sur vingt-quatre, la bite, le cœur et la tête en ébullition.

La fille attendait toujours, patiente ; Calife sortit de ses pensées.

– Je te prépare un bain, déshabille-toi.

S'arrachant les yeux de son corps qu'elle commençait déjà à dévêtir, il passa dans la salle de bain attenante, où il fit couler les robinets au-dessus de la baignoire. Ils avaient de l'eau chaude à tout instant maintenant. Aucun homme sous la Montagne ne prenait jamais de bain dans cette eau, mais la fille avait l'air de bien la tolérer. Il y jeta quelques copeaux de savon parfumé pour masquer l'odeur de métal qui s'échappait en vapeur de la surface.

Puis il alla s'asseoir sur le banc carrelé pour la voir apparaître entièrement nue et particulièrement sale. Comme la surface d'une planète morte, sa peau était marquée de cratères et de ruissellements poussiéreux sur les bras et les cuisses. Elle était recouverte d'une fine couche de sable jusqu'au bout des cils. Elle sentait le désert. Cette fille était l'essence du désert.

La fille | Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant