CHAPITRE 6 : Souvenir

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Mes parents sont debout près du comptoir, je suis assise sur l'une des chaises de la table de la salle à manger. J'entends des pas lents descendre les escaliers. Je regarde mon frère, qui arrive en bas, et pose sa valise, qui devait facilement peser 20kg, rien qu'à vue d'œil. Pourtant, il la pose au sol après l'avoir descendue de l'étage, comme s'il ne s'agissait que d'un vulgaire sac.

Son regard se pose sur mes parents, il penche sa tête sur le côté tout en les regardant, de cet air, vous savez, celui qui dit « Non. Je t'en prie. Ne pleure pas. Tu sais très bien qu'il n'y a aucune raison de pleurer. Tu me l'avais promis. »
Je ne sais pas si ma mère a compris le message ou si c'est seulement pour ne pas que lui aussi se mette à pleurer, mais je la vois se retenir, les yeux humides et déjà rougissants, tout en guettant la boîte de mouchoirs, un peu plus loin sur le comptoir. Mon père paraît triste de perdre son fils, ce fils qu'il était si fier d'avoir élevé, d'avoir éduqué, qui était devenu l'homme de la maison lorsque lui s'absentait, son premier enfant, son petit garçon et désormais son grand garçon. Il n'a point perdu cette étincelle de fierté dans les yeux. Il est fier de la voie qu'a choisi son fils, car cet homme de la maison et devenu un homme de la nation.

Mon frère s'avance vers eux, et les prend dans ses bras. C'est une courte embrassade très masculine, qu'il entreprend avec mon père qu'il sait peu tactile, avec une double tape dans le dos.

Mon frère s'écarte pour rejoindre les bras de ma mère, qui l'enlacent de toute leur longueur, et le serre contre son cœur. Elle n'a pas l'air de pleurer. Elle loge sa tête dans la poitrine de mon frère, à défaut de pouvoir le faire dans son cou, à cause de sa grande taille. Il devait bien la dépasser d'une tête et demie. Je ne serais tout de même pas étonnée de trouver une tache humide sur son pull lorsqu'elle se détachera enfin de son fils.

Mon frère se retourne vers moi. Il parait content de voir mes joues sèches.
Évidemment que je suis triste, comment ne pourrais-je pas l'être. J'aime tellement mon frère, nous sommes si proches, je n'ai quasiment pas un souvenir sans lui, toute mon enfance s'est construite autour de lui. Mon père est rarement là, et mon frère a toujours été le soutient dont j'avais eu besoin dans les moments difficiles, et à l'inverse, il savait que j'avais toujours été là pour lui. Même si il a toujours été très proche de ma mère, c'est souvent à moi qu'il préférait se confier. Par exemple, j'avais été là première à être au courant de son départ. Moi, je n'ai que lui.

Malgré ma tristesse, je connais suffisamment mon frère pour savoir qu'il souhaite tout sauf des larmes. Il veut qu'on soit heureux pour lui. Et évidemment je le suis. Je sais que son choix est celui qui le rend heureux, alors bien sûr, je suis heureuse qu'il le soit.
Je ne veux pas qu'il soit déçu de notre réaction, je veux lui montrer que je suis fière de lui. Je veux être heureuse pour lui et non pas triste pour moi.

Je me lève et attrape la feuille au grain épais, qui ne laissait pas transparaître l'encre bleu nuit que j'avais utilisé pour écrire un court poème.
Je ne voulais pas que mon frère perde de vue le chemin de ses objectifs et je voulais qu'il poursuive toujours sur la voie qu'il avait choisi, sans jamais que personne ne l'en empêche. C'est pourquoi, j'ai écrit ce poème. C'est un passe temps que j'ai toujours adoré, et mon frère a toujours été mon premier lecteur et surtout admirateur. Il m'a toujours encouragé à continuer d'écrire contrairement à mes parents qui n'ont pas lu une seule de mes lignes. Aujourd'hui, c'était à mon tour de l'encourager. Il avait trouvé sa voie, il devait la suivre.
Il l'avait trouvé sur un coup de tête, il avait eu une étincelle comme il aimait dire. Ce genre d'idée qui dans une bande dessinée aurait été représentée par une ampoule à côté du personnage.

Ma mère appréciait peu l'idée de savoir que mon frère avait pris cette décision sur un coup de tête mais ce qu'elle ne savait pas, c'est qu'il l'avait par la suite mûrement réfléchi et qu'il en avait longuement parlé avec moi avant de confirmer son choix et de leur en parler.

Je lui tends enfin le papier plié en deux et lui dis :

« - Tu l'ouvriras plus tard.

- D'accord. Tu vas me manquer petite-sœur. Je t'aime et je serai toujours là pour toi, ne l'oublie jamais. me répond-il dans le creux de l'oreille tandis qu'il m'enlace avec tendresse mais avec force, qu'il me porte presque et mes pieds touchent à peine le sol.

- Jamais. Moi aussi je t'aime. Tu va me manquer, tu ne peux savoir à quel point. »

Il me relâche et place avec précaution le papier que je lui ai donné dans la poche de son manteau.
Il repart et attrape la poignée de sa valise qu'il tire. Sans un regard derrière lui, confiant dans cette décision qu'il a prise et réfléchie, il ouvre la porte et part sans se retourner.

Les quatre lignes que je lui ai écrites sont ces dernières :

« Seule la lumière peut te guider
Vers le bon chemin.
Donc sois éclairé
Si tu veux en voir la fin. »

***

Ce souvenir pourrait-il avoir un quelconque lien avec le message ?
Ou bien avec la personne qui se trouve derrière la porte ?
Quelles relations entretient Lucie avec ses parents ?
Avec son frère ?
Y a-t'il un lien avec son absence ?
Ce souvenir fera-t'il germer une idée à Lucie qui lui permettrait d'avancer ?

La cave [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant