13. L'eau

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Deux mois plus tard

« - Bonjour Alec.

Sa voix retombe dans le vide, je m'affale sur le canapé et fixe le plafond blanc.

- Tu ne veux toujours pas parler ?

Elle m'énerve. Avec ses airs de tout comprendre, de Madame Parfaite qui sait tout faire. Elle me parle comme si elle pouvait tout résoudre en un claquement de doigt, alors que non, c'est bien plus compliqué que ça.
Voyant que je ne rechigne pas, elle sort son bouquin (le même que la semaine dernière) et en décorne la page avant de continuer sa lecture.

Aujourd'hui, cela fait trente-six jours que je n'ai pas prononcé un mot.
Non pas que je n'en ai pas envie, c'est juste que je n'ai rien à dire. J'aurais pu lui parlé encore longtemps, à elle. Mais elle n'est plus là, et les autres personnes n'ont pas cette chose en plus qui me donne envie de leur adresser les parole. Ils ne sont ni drôles, ni intéressants, ni spécialement intelligents. Ils ne sont pas elle.
Les médecins appellent ça un mutisme psychologique. C'est faux, je sais que je ne suis pas muet, même dans ma tête. Je n'ai juste pas envie de parler.
C'est la cinquième fois que je me retrouve en face du docteur Linda, que je la regarde en arrivant puis que je m'allonge et quitte le blanc de ses yeux pour celui du plafond. Ha non, il me semble que la première fois, j'ai pleuré toute la séance. Ainsi que les nuits, les jours qui ont suivis. Je pleurais sous la douche, je pleurais dans les couloirs, je pleurais sur le toit, je pleurais dans mon lit, partout.
J'ai arrêté. Je n'ai plus beaucoup d'eau à écouler.

L'avantage que j'y trouve (la Dr. Linda m'a donné comme conseil, avant d'abandonner, que je devais prendre les choses simples et positives, puis les rendre de plus en plus précises. Comme dans un entonnoir) est que je n'ai pas à retourner chez « moi ». Le premier mois, quand elle était encore là, je logeais chez ses parents. Désormais je suis considéré comme patient et j'y séjourne. Les couloirs, l'odeur, la luminosité me la rappelle à chaque instant, endormie dans son lit.
Je passe mes journées à rôder dans les couloirs, dans la chemise de nuit immonde de l'hôpital. Je marche sans but précis, pieds nus. On doit me prendre pour un fou. De toutes façons il n'y a que des fous, c'est un hôpital psychiatrique. Souvent, je vais sur le toit, à l'heure où le soleil se lève, puis quand il se couche. C'est joli. Ça me permet de voir quelque chose de beau, parce que la seule chose que je trouvais belle n'est plus ici.
Je fais quelques exercices que me conseillais ma psy, quand j'y pense.
Je cherche désespérément des points positifs auxquels me raccrocher mais n'en trouve pas plus de cinq à chaque fois (l'absence de ma mère, l'absence de mon beau père, l'absence de Chase, l'absence des gens et le lit qui se dresse quand j'appuie sur un bouton).

La sonnerie du portable du docteur sonne. Elle me demande si ça ne dérange pas si elle décroche et doit prendre mon manque de réaction pour un oui.

«  Allô ? [...] Oui, c'est moi. [...] Il va bien ? [...] Mais sa sœur n'est pas dans le coin ? [...] Très bien, je suis au travail, j'appelle mon mari pour qu'il aille le chercher. Merci. »

Elle appelle effectivement son époux juste après, un peu paniquée.

«  Dan ? Oui, Nils a fait une crise au lycée. Tu peux y aller ? Et Emily a du sécher, elle n'est pas en cours. Je t'aime. Bisous. »

Je me demande de quelle genre de crise il pouvait bien s'agir. Comme celle de Why, avant que l'ambulance ne vienne la chercher ? Elle en refaisait, à l'hôpital. Elle se tirait les cheveux, s'époumonait, m'insultait. Une fois elle m'a frappé avec sa chaussure. Je ne lui en veux pas, je sais qu'elle n'était pas réellement consciente, pas réellement elle même.
Je crois que Linda se doute de mon incompréhension puisqu'elle déclare :
- Il est autiste, accompagné d'un sourire.

THE BIG WHYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant