Chapitre 1 : Le Bedonnant Seigneur

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 Assise sur les flancs du cratère, descendant doucement vers les eaux noirs du Lac Pavin, je poussai un long soupir. Le ciel, couvert de blancs nuages, se reflétait sur sa surface, rendant les alentours verdoyants un peu plus ternes. En face de nous, perché sur un éperon rocheux dominant le lac, un château bardé de tours gigantesques nous toisait.

Je soupirai de nouveau.

-Qu’est-ce qui t’arrive ?

Baissant les yeux sur mon compagnon, je fis la grimace.

-Nous sommes dans une région paumée.

Sous son capuchon bleu azuré, Lazare me sourit. Allongé sur l’herbe, les bras croisés derrière la nuque, il gardait son visage dissimulé sous sa cape.

-Je sais.

-Pourquoi le Grand Veneur nous aurait-il envoyé ici, hein ? Il n’y a rien ! Juste un cinglé avec ses tours toujours plus hautes, et un poiscaille terré au fond d’un lac.

Nouveau long, très long soupir.

-Il n’y a rien pour nous, dans le coin.

-Pernelle, ma belle, fit-il de sa voix délicieusement grave, n’oublie pas le trésor.

-Tu y crois, toi ?

-Nous n’avons pas d’autres espoirs.

-Diantre, tu es encore plus optimiste que moi.

-Mais je le suis ! C’est toi, qui es démoralisée.

-Normal, tu gardes encore cette maudite capuche, lançai-je en attrapant les bords du tissu.

Aussitôt, ses mains s’emparèrent des miennes, m’empêchant de le découvrir. Les nuages laissèrent passer quelques rayons du soleil, éclairant ses yeux d’un bleu irréel.

-Tu cherches encore à me déshabiller, Pernelle ? rit-il.

La pique, gentillette, me crispa. Pourtant, je n’en laissai rien paraitre. Comme toujours.

-Evidemment, ronronnai-je. Tu es tellement sexy une fois nu…

Il poussa un grognement en repoussant mes doigts de son capuchon.

-Mais bien sûr... Allez, viens, la pause est fini. Nous n’avons plus qu’à contourner le lac, pour avoir le gite et le couvert. La nuit s’annonce fraiche.

Se relevant avec agilité, les plis de sa longue cape azurée s’arrangeant autour de lui, il me tendit la main. Pâle, sans le moindre défaut. Ma gorge se noua.

-Tu es froidement logique, Lazare.

Son sourire réapparu parmi les ombres, faisant ressortir une fossette sur sa joue droite.

-Il faut bien que quelqu’un le soit, ma belle.

-Hé ! Ca veut dire quoi, ça !?

-Que tu n’es pas plus réfléchie que la grenouille qui tente de sauter dans le lac, là en bas.

Nous tournâmes la tête vers ledit batracien. Effectivement, il était en plein saut, la courbe délicate de sa trajectoire le faisant se diriger vers les eaux de Pavin. Ses pattes touchèrent la surface, ridant sa continuité…

… en quelques instants, les nuages devinrent noirs au-dessus de nous. Le tonnerre gronda, en même temps qu’un tourbillon se formait au centre du Lac Pavin. Gigantesque, s’élargissant à chaque seconde, il se creusa vers les profondeurs, dévoilant l’affreux secret de ses eaux. Une immonde gueule garnit de crocs apparu en son cœur, démesurée. Le pauvre crapaud, emporté par le tourbillon, fut croqué dans un sonore claquement de dents. A peine ce hors-d’œuvre fut-il avalé que le gouffre se referma, le lac à peine ridé par le phénomène surnaturel. Le ciel se dégagea, nous éclairant, Lazare et moi.

Les Affres d'une GrenouilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant