Chapitre 6 : La Rue des Masques

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-J’aurais cru une Masque capable de voler sur un balais.

-Ce n’est pas le cas, cloporte.

Je m’arrêtai, pour retirer un caillou logé dans mes bottines. Devant moi, Lazare ne ralentit pas, savourant les rayons du soleil. Nous n’en avions pas vu souvent, ces derniers jours. Preuve en était les sentiers boueux. Alentours, la végétation était humide, respirait la santé, nous laissant épuisés. Enfin, moi, surtout. Lazare, lui, dans sa cotte d’arme blanche immaculée, son épée pendant à son flanc, paressait pimpant. Ses bras doraient au soleil, ses plumes blanches, parées de fins bijoux d’or, en profitant elles aussi. Nous étions seuls, aussi se permettait-il d’être ainsi exposé aux regards.

-N’empêche, on va en mettre, du temps, à atteindre Eyglier. Tu sais faire quoi, alors, si tu ne peux pas voler ? Parce qu’à cause de ça, notre voyage va durer une éternité.

-Stop ! m’exclamai-je, à bout de nerf. Saül, pour l’amour de ce maudit Dieu, tais-toi !

Depuis le début de notre voyage, il ne cessait de se plaindre se croyant l’homme le plus puissant du monde. Il était parvenu à dompter un dragon, depuis, il montait sur ses grands chevaux ! Au début, il avait été terrorisé par Lazare et moi, mais après plusieurs jours de routes, voilà où nous en étions. A des remarques incessantes sur mon incapacité à voler. Diantre, ce n’était tout de même pas de ma faute, s’il croyait en ces contes pour humains !

-Hé ! Parles-moi autrement ! Je te rappel que c’est toi, qui a besoin de moi ! Pas l’inverse !

Cette fois-ci, je pivotai vers lui, furieuse. L’attrapant par son camail verdâtre, je l’attirai à moi, sans ménagement. Vêtu d’une tunique lui arrivant à mi-cuisse, il n’était pas confortable pour un voyage, surtout avec ses chausses étroites, et encore moins pour me faire face.

-J’ai besoin de toi, petit Saül ? Ça se discute. Casse-moi encore les oreilles, et don ou pas don, je te transforme en grenouille pour te croquer au dîner ! C’est clair !?

-Peuh. Si tu ne sais pas voler, tu ne dois pas non plus pou…

D’une voix sourde, je lui coupai la parole en débitant une série de paroles en latin. Dans un petit éclat de lumière, je me retrouvais avec non plus un homme-serpent, mais une misérable petite grenouille entre mes mains. Qui émit un « croa » interrogatif.

-Ha, on fait moins le malin, hein ? Lazare, tu proposes quoi ?

Mon compagnon vint s’appuyer sur mon épaule, pour considérer Saül d’un air amusé. Ce dernier se ratatina dans ma paume, son croassement se faisant plus aigüe.

-J’en pense que dans cet état, il ne nous gênera plus pour le trajet.

Resserrant mes doigts sur ma victime, qui tentait de s’échapper, je levai la tête vers Lazare. Il me considérait de ses beaux yeux aux pupilles fendues. Avec ses plumes rejetées en arrière, il avait tout d’un apollon.

-Oh, mince ! m’exclamai-je en réalisant ce qu’il voulait dire. Je n’y avais pas pensé…

Il haussa les épaules, avant de m’ébouriffer les cheveux.

-Ne t’en fais pas. De toute façon, avec les jours de tempête que nous avons essuyé, je n’aurais pas pu voler.

-Donc, nous devrions être à la Rue des Masques d’ici ce soir ! réalisai-je, ravie. Attend, je vais prendre un bocal pour Saül… Tiens-le moi.

Lazare attrapa la grenouille, dont les coassements étaient de plus en plus stridents. J’en profitais pour prendre mon baluchon, noué dans mon dos, et farfouillai dedans. Non, là c’était les étagères à ingrédients… La grande malle… Le chaudron… Bon sang, j’allais devoir faire du rangement, dans ce sac, sinon je n’allais jamais m’en sortir !

Les Affres d'une GrenouilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant