Chapitre 19 : La Nuit de Noël

1.9K 325 12
                                    

-C’est horrible ! Tu ne peux pas comprendre, Saül !

-Effectivement… Tu es saine et sauve !

-Je ne pourrais plus jamais sortir de nuit ! Avant, on devait juste faire attention avant Noël ! Mais après un second pied de nez, le Diable va nous poursuivre jusqu’au bout du monde ! C’est fichu… Je ne pourrais plus jamais faire l’amour au clair de lune.

-C’est vraiment la seule chose que tu retiens de cette histoire ? soupira Saül, en se renversant dans son fauteuil, alors que j’enfouissais ma tête dans un coussin.

-Quoi ? fis-je, la voix étouffée. Tu préfères ça, où m’entendre geindre sur le fait que Lazare m’ignore depuis trois jours ?

Silence.

-C’est vraiment triste de ne pas pouvoir s’envoyer en l’air à l’extérieur, de nuit.

Lâche, songeai-je. Trois jours qu’il m’avait sauvé dans une scène épique, où la fin logique aurait été une nuit de sexe exalté… Et rien. Rien !

Il m’avait mise au lit, soigné, avait veillé sur moi alors que je sombrais dans un semi-coma induit par l’intrusion du fantôme dans mon corps, puis, plus rien. A mon réveil, il avait disparu. Depuis, chaque fois que je le croisais, il m’adressait un morne signe de tête, avant de poursuivre son chemin.

Pour la première fois de ma vie, j’avais envie de pleurer.

Je pouvais tout supporter, ces cinq années de recherches, ces cinq années loin de lui, la torture morale de Cambrinus, ses sévices, les démons, le Diable… Mais le désintérêt total de Lazare, je ne pouvais pas. Je ne pouvais tout simplement pas…

-Pas la peine de rester cloîtrée ici, Pernelle. Allons manger. Dans la grande salle, j’entends. Ça te fera du bien, de voir d’autres personnes.

Revêtant ma robe rouge au corset noir, je lui emboîtais le pas, sans conviction. Jusqu’à ce que j’aperçoive Lazare dans la pièce, silencieux devant son repas. A peine eus-je croisé son regard qu’il se leva, remercia les autres et se dirigea vers moi. Par pitié… Pitié, ne fais pas ça… Ne fais pas ça, Lazare…

-Bonne soirée, murmura-t-il en passant à coté, sans même me voir.

Saül gronda de colère, mais j’en fus incapable. Tout comme je fus incapable de toucher à mon repas.

Bien plus tard, gorgée de vin rouge pour oublier ma peine, je croisais Cambrinus. Ce dernier attendait devant mes appartements, avec une mine sombre.

-Que me veut mon cher mari ? lançai-je en ouvrant ma porte, bien décidée à m’écrouler dans un coin et dormir.

-Te rappeler une chose, Pernelle : demain, nous serons Noël. La dernière nuit de la Chasse à Bodet. Tiens-toi prête à me donner la Mandragore et à déguerpir.

Je pivotai vers lui, plissai les yeux pour l'observer. Il avait toujours son air mauvais, sa cruauté latente pointant régulièrement le bout de son nez, dans ses traits soi-disant beaux.

-Tu as sérieusement l’intention de faire boire au Diable un filtre d’amour ?

Il haussa les épaules.

-Dans moins d’un mois, le Pacte prendra fin. Je suis prêt à tout pour continuer à vivre.

-Même à coucher avec le Malin ?

Cambrinus sourit méchamment.

-La Mandragore est le plus puissant filtre d’amour au monde. Une fois sous ma coupe, je pourrais user du Diable comme bon me semble.

Les Affres d'une GrenouilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant