Chapitre 20 : Règlement de Comptes

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Le sanctuaire baignait dans la brouillard cernant son apique, ses pointes crevant les cieux tandis que les lueurs bleus perçaient les façades. Les pierres noires étaient le symbole de la mort régnant en ces lieux, tout comme ces lumières représentaient la vie sur terre.

D’un calme souverain, je franchis les chemins couverts de brume, le bas de ma robe rouge sang fendant ces lambeaux de fumée. Dans les écuries, je retrouvais les chevaux de l’Ankou, ainsi que sa charrette morbide. Mais surtout, il y avait les jumeaux Adenet et Adenot, occupés à forger les fers pour les bêtes. Aucun ne sursauta en m’apercevant. Souriants, ils se portèrent aussitôt à ma rencontre, leur torse nu luisant de la sueur de leurs efforts. Ils m’encadrèrent comme ils avaient l’habitude de le faire.

-Tu viens voir la flamme, ma belle Pernelle ? susurra Adenet en passant un bras autour de ma taille.

-Et après tu nous honoreras ? chuchota son frère.

Je leur souris. Ils gloussèrent, avant de me conduire dans le château de l’Ankou. Des centaines de milliers de bougies recouvraient le sol, les meubles, les tapis, conférant aux lieux une ambiance bleutée. Sur l’escalier, à double révolution, trônait la bougie, que je connaissais si bien. Sur l’une des marches, elle me semblait briller plus forte que toutes les autres.

Cette flamme, pour laquelle j’avais vécu depuis cinq ans.

-Petit frère, murmurai-je en touchant la bougie, avec une douceur si bien connue des jumeaux. Qui eut cru que nous nous en retrouverions là ?

Les frères se dandinèrent, impatients d’obtenir leur « paiement » habituel. Ou dans la peur de voir surgir l’Ankou, qui ne tolérait aucun mortel dans mon genre dans son sanctuaire.

Me redressant, je fixai la bougie.

-Qui eut cru… Que les sbires de la mort eux-mêmes me tromperaient ? susurrai-je en coulant un regard glacial dans leur direction.

-Hein ?

-De quoi parles-tu, Masque ?

Je penchai la tête de côté. Ils eurent un mouvement de recul, avant de froncer les sourcils.

-Pern…

-Combien vous a payé Cambrinus, pour me faire croire que mon frère était toujours en vie ?

Ils se regardèrent, éclatèrent d’un rire crispé.

-Tu divagues ! C’est la bougie de vie de ton frère, Pernelle. Il est…

-Enterré au fin fond d’une Alsace miteuse, dans un village où seul le Diable règne en maître ! sifflai-je, trop furieuse pour hurler. Mort depuis des années, avant même d’être devenu un homme ! Alors dites-moi pourquoi, pourquoi avez-vous osé me mentir ? Pourquoi avez-vous osé cacher la mort de mon frère ?

-Heu… Attends, calme-toi… fit Adenet en reculant prudemment entre les milliers de bougies. Nous sommes chez…

Les flammes rugirent autour de moi, terrorisant les deux humains.

-La liberté ! Il a affirmé qu’une fois qu’il aurait assujetti le Diable, il nous libérerait de l’Ankou !

-C’est la vérité, Pernelle ! Nous n’avons pas le choix !

-Et vous n’avez jamais pensé, susurrai-je en marchant sur eux, que je cherchais à me venger ?

Adenot déglutit nerveusement, surveillant tour à tour les flammes et mes pas. Je m’avançais lentement vers eux, laissant la peur grimper dans leurs veines.

Les Affres d'une GrenouilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant