Chapitre 14 : Le Roi de la Bière

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Foutre Dieu.

Il avait cocufié l’homme le plus terrifiant de la terre.

Assit sur un canapé, en soie brodée de roses, Saül se tenait raide comme un piquet, totalement dépassé par l’ambiance électrique régnant dans la bibliothèque. La Pernelle affrontait du regard le Duc, les flammes de la cheminée auréolant leur silhouette. Lazare restait sur le qui-vive derrière elle, une main sur son épée, tout en toisant une donzelle en robe verte aux courbes avenantes.

Mais là n’était pas le problème.

Le problème, c’était…

-Nous avons convenu d'un marché, Pernelle, grondait le Duc. Tu dois me remettre la Mandragore maintenant.

-Pour que tu me jettes dehors ?

-Je n’ai jamais prévu de m’occuper de toi par la suite.

-Moi non plus, ricana-t-elle, bras croisés sous sa poitrine. Mais nous savons tous deux que dès ce soir, nous serrons à douze jours de Noël.

-Que veux-tu que ça me fasse ?

-Ne joue pas au plus malin avec moi, Cambrinus. Tu sais parfaitement que la Chasse à Bodet hante, les nuits à cette époque de l’année.

Ils se défièrent du regard. Pernelle paraissait à deux doigts de sauter sur ce grand pédant. Sa longue cotte de velours effleurait le sol, ses teintes de bières impressionnant Saül. Il n’avait jamais vu une tenue d’une telle richesse, retenu par une ceinture en or massif, soulignant la taille étroite de Cambrinus. La tête nue, il avait le cheveu noir, tranchant avec la pâleur de sa carnation. Il aurait pu être beau, si sa cruauté n’avait pas transpiré par les moindres pores de son corps maigrelet.

-Tu peux mourir, je n’en ai que faire, sorcière.

-De nous deux, je ne suis certainement pas celle qui a embrassé le cul du Diable. Alors descend de ton pied d’estale et rend-toi à l’évidence : tu vas devoir héberger ta chère épouse pour les douze prochains jours.

Les yeux turquoise du Duc dérivèrent sur Lazare, dont l’expression meurtrière laissait deviner les pensées.

-Je suppose que ton chien de garde détient la Mandragore ?

-A ton avis ?

Une non-réponse. Saül déglutit nerveusement, ce qui attira l’attention de la compagne de Cambrinus, dans sa lourde robe de velours vert. Elle lui sourit doucement, incurvant délicatement ses lèvres rouges.

-Soit. Vous resterez au Château de Fresnes jusqu’à la naissance du Christ. Mais après, je ne veux plus vous voir.

-Ne t'en fais pas, chéri, railla La Pernelle. Je ne suis pas plus ravie que toi de voir ta sale trogne.

Un mauvais sourire défigura le visage de son époux.

-Ne crois pas mon aide gratuite.

*

Décidée à ne pas rester une seconde de plus dans ce maudit château, je descendis en ville. J’avais besoin de prendre un peu l’air, afin de me préparer à la soirée. Je ne supportais pas la présence de mon époux.

Fichues douze nuits maudites. Sans mes jours d’inconscience, nous aurions pu repartir, réglant une fois pour toute cette histoire, comme prévu. J’aurais alors pu le rejoindre, lui, là-bas en Alsace. Mais non. J’étais bloquée ici, avec Cambrinus, condamnée à le voir pour les douze prochains jours.

Je m’arrêtai au milieu de la place rouge, luttant pour contrôler ma fureur. Face aux citoyens de Fresnes, je ne pouvais pas me permettre d’avoir l’air dangereux. Il y avait cinq ans, j’avais tout fait pour obtenir leur confiance. J’avais réussis, construisant ainsi un lieu sûr dans ce pays de fous.

Les Affres d'une GrenouilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant