Chapitre 3 : Un Échec Cuisant

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Le temps c’était gâté, depuis la veille. Le dragon du lac, furieux d’avoir vu un des ouvriers tomber des échafaudages jusque dans les eaux troubles, avait non seulement croqué le pauvre humain, mais en plus il avait gâté le temps.

De fait, tous les invités de la petite fête, dédiée à l’ego de Pavin, c’étaient de nouveau massés dans la grande salle de réception du château, en pleine journée. Des centaines de torches éclairaient les lieux, illuminant les tentures représentant des scènes de chasse, projetant des ombres savantes sur les invités, attablés à la grande table en U. La réception battait son plein, ils mangeaient tous depuis des heures, la Troupe de saltimbanque égaillant quelque peu le triste tableau.

Quant à moi… Hé bien, j’étais quasiment assise sur les genoux du Seigneur. Penchée vers lui depuis le début du repas, en dépit des regards outrés de courtisanes prêtent à tout pour ses faveurs, je lui offrais une imprenable vu sur mes seins. Chose qu’il appréciait à sa juste valeur, en lorgnant dessus une fois par minute. J’étais lasse de l’entendre mastiquer depuis le début de matinée, et ma main peinait à caresser sa cuisse tant sa panse était protubérante.

Pourtant, je me faisais enjôleuse, lui dédiant des œillades équivoques.

-Votre tunique de velours vous sied à merveille, Monseigneur.

-Elle peut, elle m’a couté une fortune !

-Mmmh… Peut-être pourriez-vous la garder pour… D’autres attractions…

Il éclata d’un rire gras, à l’instant même où le numéro de danse prenait fin. Il fut rapidement remplaçé par la déclamation d’un poème épique, qui déclencha le début des hostilités.

-Et si nous allions nous détendre dans mes appartements ? susurra Pavin.

Je me retins de froncer le nez, en humant son haleine répugnante.

-Avec plaisir…

*

Le poème déclamé par Galéran fit sourire Saül dans les plafonds de la grande salle. Si tout allait bien, ce serait ses derniers instants en tant qu’animal de foire. Car l’un des membres de la Troupe grimpait les marches de l’escalier allant des cuisines au grenier, pour le conduire au numéro final, dont il était la « vedette ».

Il entendait les marches de bois grincer, la trappe s’ouvrit lourdement dans les raies de lumière filtrant par le planché disjoint. L’imposant Godeffroy s’avança vers lui, son habituelle mine renfrognée se muant en un rictus à sa vue.

Saül ne pipa mot, se contentant de le préceder après qu’il eut détaché la chaîne du pilier. Il s’engagea le premier sur les marches de bois, auxquels succédèrent d’autres en pierre, plus solides. En contre bas, à peine visible grâce aux feux des cuisines, il pouvait distinguer le mur fermant le virage.

L’humiliation que lui avait fait subir Galéran, devant La Pernelle, avait été de trop. C’était la dernière fois qu’on lui imposait une telle chose.

Cet escalier était la clef de sa liberté.

Prenant par surprise Godeffroy, il se roula en boule en se jetant en arrière… Fauchant ainsi les jambes du colosse. Déséquilibré par les marches, il tomba en avant, dans un roulé-boulé incontrôlé. Il dégringola sur plusieurs mètres, avant de heurter violemment le mur, tête la première.

Le souffle court, réalisant à peine le succès de son entreprise, Saül ne prit pas le temps de vérifier s’il bougeait encore: il bondit par-dessus le corps inerte, et fonça droit devant-lui.

Les Affres d'une GrenouilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant