La nuit où il est arrivé... Je m'en souviens comme si c'était hier.
C'était un soir de décembre, un de ces soirs où il faisait nuit dès dix-huit heures, un de ces soirs où il valait mieux être au chaud.
Les enfants de l'orphelinat Kibougamine étaient donc bien contents d'être dans le grand salon de l'établissement, chauffé par plusieurs radiateurs et une cheminée où crépitait un grand feu.
Kirumi Tôjô était la plus âgée des orphelins. Ils avaient tous entre deux et douze ans, sauf elle, qui en avait déjà quatorze. Elle s'improvisait toujours nourrice ou surveillante des enfants lorsque le directeur de l'établissement, monsieur Kirigiri, et les autres surveillants s'absentaient. C'est-à-dire souvent, et longtemps.
Ce soir-là, donc, Kirumi lisait une histoire aux plus jeunes, tout en surveillant du coin de l'œil Tenko et Himiko, les deux meilleures amies du monde, qui s'endormaient un peu trop près du feu à son goût, et Ryôma, qui s'amusait à renvoyer indéfiniment sa balle de tennis contre le mur, au risque de blesser ses petits camarades.
La douce musique d'un piano, jouée par la jeune Kaede, emplissait la pièce. On disait d'elle qu'elle était le nouveau Mozart, tant son talent était démesuré pour une enfant de dix ans. On aurait dit que les cordes lui obéissaient, comme si sa simple pensée suffisait à les faire jouer les plus belles mélodies qui soient.
Rantarô, assis au pied du canapé, l'écoutait, les yeux clos comme pour savourer la tranquillité magique du moment, tout en luttant pour ne pas s'endormir.
À côté de la cheminée, Angie, une fillette aux cheveux blancs et à la peau couleur café au lait dessinait des flammes au sol à l'aide d'un feutre violet, à plat ventre, ses jambes brassant joyeusement l'air.
"Heureusement que c'est un revêtement lavable." songea Kirumi en observant le faux parquet recouvert des dessins de la fillette, avant de reporter son attention vers Gonta, un enfant de onze ans qui en paraissait quinze, tant sa taille et sa carrure étaient imposantes. Pourtant, il pleurait à chaudes larmes, en pointant du doigt la jeune Miu qui avait démonté sa voiture télécommandée pour, selon elle, "l'analyser en détail".
Les pleurs de Gonta semblaient profondément agacer un adolescent aux longs cheveux noirs, assis sur le canapé, un livre rempli de caractères obscurs posé sur ses jambes entrecroisées.
"Korekiyo est encore tout seul..." se dit Kirumi, embêtée.
Mais alors qu'elle s'apprêtait à aller le voir, un jeune garçon de dix ans à peine, accompagnée d'une fille à la longue chevelure bleu-gris, grimpèrent sur le canapé et bombardèrent Korekiyo de questions sur son livre, auquel il répondit, d'abord avec de l'hésitation, puis de bon cœur.
Rassurée, Kirumi n'entendit pas les pas précipités ni le courant d'air froid venant du couloir, et ne tourna la tête qu'en entendant la voix du jeune Kaito.
- Kirumi ! s'exclama le jeune garçon aux cheveux rebelles, essoufflés. Kirigri-san est rentré !
- Et il y a quelqu'un qu'on connaît pas avec lui, ajouta Maki, plus jeune mais beaucoup plus calme que Kaito. Il te demande de préparer un lit et un plateau repas, Tôjô-san.
Kirumi se leva d'un bond, et courut jusqu'au couloir, d'où s'échappait une voix d'homme, grave et claire, mais empressée.
C'est cette agitation qui interpella Shûichi, et peut-être aussi le fait que Kaede, perturbée par l'annonce de Maki, avait fait une fausse note.
Jusque là, il était resté assis sur le rebord intérieur de la fenêtre, le front collé contre la vitre glacée, à regarder la pluie battante crépiter sur les vitres des maisons à l'extérieur.
Mais là, il était intrigué. C'était sûrement son instinct de jeune détective en herbe qui voulait ça.
Alors il descendit de son perchoir, et passa discrètement la tête par l'entrebâillement de la porte.
Ce qu'il vit ce soir-là, il ne l'oublierait jamais.
Monsieur Kirigiri était trempé, et donnait des directives au personnel en parlant très fort, ce qui n'était pas de son habitude, et son long manteau gris était souillé de sang.
Et dans ses bras, il portait quelque chose. Ou plutôt quelqu'un.
Un garçon aux cheveux violets mi-longs qui formaient des épis autour de son crâne, au visage couvert d'un mélange de suie, de boue et de poussière, enveloppés dans une couverture élimée et couverte de taches rouges, comme le manteau de monsieur Kirigiri.
Il était difficile de distinguer son visage tant il était recouvert par la saleté, mais il devait avoir à peu près l'âge de Shûichi, c'est-à-dire dire onze ans.
Alors que Shûichi, justement, essayait de comprendre ce qu'il se passait, le garçon tourna ses yeux vers lui.
Deux prunelles mauves, perçantes, paralysèrent le noiraud sur place.
Il avait l'impression qu'il essayait de sonder les tréfonds de son âme, ce qui était une sensation extrêmement désagréable.
Les yeux de ce garçon auraient sûrement pu être magnifiques, s'ils n'avaient pas été aussi... vides.
Vides de toute lumière, de tout espoir.
Et juste avant que ces mêmes yeux ne se ferment, le garçon adressa un petit sourire à Shûichi.
Un sourire qui lui fit froid dans le dos.
Et alors que le directeur se dépêchait de confier l'enfant à Kirumi, il entendit sa voix grave qui lui disait, d'un ton encore essoufflé :
- Il s'appelle Kokichi. Kokichi Ôma.
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Ce que nous aurions dû nous dire... 「Kokichi X Shûichi」
Diversos" Mon souhait le plus cher ? Une machine à remonter le temps ! " Shûichi Saihara est l'un de ces nombreux enfants auquel la vie a tourné le dos. Privé de ses deux parents, il entre à l'âge de quatre ans à l'orphelinat Kibougamine, où il réussit enf...