Chapitre 14

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Galet Bleu fuyait, fuyait sans s'arrêter. Il regagnait la Maison abandonnée en courant. Il finit par s'arrêter, haletant, dans le champ de blé, pendant que la nuit tombait.

Il fixa ses pattes. Ses puissantes pattes grises. Elles étaient encore tachées de sang. Du sang brun, séché. Le même sang qui avait taché le beau pelage noir de sa Fleur du Caprice. Il regardait ses pattes comme on regarde une chose à laquelle on ne peut pas croire.

Ce sang. Le sien. Celui de Fleur du Caprice. Sur ses pattes.

Crotte de souris... combien de fois au juste l'avait-il prévenu ?

« Tu sais, je ne suis pas quelqu'un de bien », lui disait-il. « Je ne suis pas ce que tu crois que je suis, loin de là. Je me sens bien avec toi, et j'adore tous ces discours qu'on prononce ensemble devant les porteurs de Don des Clans, mais je ne suis pas comme ça. J'ai vécu dans la rue, je ne suis pas comme toi, je n'ai pas eu un Clan, des parents, des amis. Je ne suis pas quelqu'un de bien ».

Mais Fleur du Caprice ne s'en souciait pas. Elle était comme ça, Fleur du Caprice. Elle souriait, riait, puis lui léchait tendrement la truffe.

- Peut-être. Mais tu me conviens comme tu es, disait-elle de sa jolie voix aiguë.

Ses yeux jaunes brillaient lorsqu'elle le regardait. Lui, Galet Bleu, qui n'était qu'un salopard qui adorait se battre. Et elle s'en fichait. Elle choisissait d'ignorer ça. Elle choisissait de l'idéaliser. Elle jouait avec lui, le taquinait, le câlinait, lui parlait de sa vie, des merveilles que renfermaient la forêt, de la vie des Clans qu'il n'avait jamais eu la chance d'avoir... ils parlaient pendant des heures de leur vie, de leurs souvenirs. Il lui parlait d'ordures, de rats, de restes périmés, de chiens, bref de la vie de la rue. Elle lui parlait de blaireaux, de renards, de fleurs, de patrouilles, de chef, de lieutenant, bref, de la vie de Clan. Ils rêvaient l'un avec l'autre, se laissaient s'embarquer dans un autre monde.

Elle avait l'air tellement heureux, si pétillant, si épanoui, lorsqu'elle le voyait... lui, Galet Bleu, qui n'était qu'un pauvre con. Qui n'en méritait pas tant. Qui n'était pas ce qu'elle croyait.

Elle se précipitait dans ses bras, lui parlant de sa vie, le chouchoutant, le câlinant.

Et au lieu de trop l'avertir, il la laissait faire. Il la laissait croire qu'il était quelqu'un de bien. Car à ses côtés, il s'adoucissait. Il finissait presque par s'en persuader. Il devenait autre. Il devenait tactile, il la câlinait, il la léchait partout, il souriait, il riait aux éclats, il appréciait de parler de pommiers, de papillons, de légèreté...

Il en voulait toujours plus. Elle lui faisait tant de bien. Son optimisme de guerrière à peine sortie de l'enfance, son grand sourire, sa voix aiguë de souris à faire fondre les cœurs, son grand rire de petite fille... il ne pensait qu'à elle. À la personne qu'il devenait lorsqu'il était avec elle. Cette meilleure personne. Plus calme, plus réservée, plus posée, plus douce.

Fleur du Caprice lui faisait tant de bien. Sa bonne humeur, son optimisme, son idéalisme étaient contagieux. Ils passaient des heures à la lisière de la forêt tous les deux, à marcher, à parler, à s'aimer, peu importe, à ne faire qu'un. Fleur du Caprice était si belle à ses yeux. Ses sourires était délicieux, ses soupirs l'étaient plus encore.

Quand exactement avaient-ils eu l'idée d'agir en réunissant les porteurs de Don des deux Clans ? Il ne savait plus. Il ne savait plus également lequel des deux avait eu l'idée avant l'autre d'organiser des réunions secrètes. Ils étaient assoiffés de justice. Elle, c'était une idéaliste. Elle voulait restaurer la paix et la tolérance, à la manière d'une Étoile Douce au rabais et au sourire naïf sous ses prunelles jaunes. Elle voulait que porteurs de Don et Sans-Don vivent heureux ensemble, à jamais. Lui ne cherchait que la vengeance. Contre sa mère, contre les Clans. Il voulait détruire, elle voulait reconstruire. Ils étaient parfaitement opposés jusque dans leur objectif de révolte. Ils n'avaient rien à faire ensemble, lui, la brute blasée et cynique de la rue, et elle, la mignonnette guerrière biberonnée aux histoires idéalistes d'Étoile Douce. Mais pourtant, à deux, ils réussirent à ébranler la forêt et à créer ce qui deviendrait plus tard la bande de la Maison Abandonnée.

Le Chêne et le Roseau - Fanfiction La Guerre des Clans [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant