Chapitre 41

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Rêve ne s'habituerait jamais vraiment à son reflet.

Décidément, alors qu'elle se regardait dans cette flaque d'eau légèrement rougeâtre – la faute à son sang qui avait coulé à l'intérieur – elle ne s'habituait toujours pas à voir cette personne inconnue la fixer.

Enfant, Rêve était toujours le pelage en bataille. Elle avait un très joli pelage, à la fois assez court et très doux. Mais cela se voyait à peine sous toutes les balafres qu'elle avait sur le corps, sur toutes les traces de sang séché et tous les épis que formaient son pelage. Elle se cachait le visage dans ses plantes lorsqu'on venait dans la tanière, parlait peu et toujours en marmonnant dans sa moustache. Lorsqu'un patient entrait dans la Pièce aux Plantes, il ne voyait qu'une silhouette noirâtre qui disparaissait et se cachait. Noyau d'Abricot se chargeait toujours des épines dans la patte à cause de ça. Il savait que Nuage de Rêve détestait se montrer. Elle était tétanisée à l'idée de montrer son corps couvert de griffures, son regard vide.

Parfois, un patient l'apercevait. Il voyait cette toute petite gamine, cette petite chatonne noire haut comme trois pommes à l'air si ingrat, au pelage sale, et son regard glissait à peine sur elle. On y lisait très souvent du mépris et du dégoût. Une pointe de pitié, aussi. Rêve avait bien conscience du genre d'image qu'elle devait dégager : celle d'une gamine sauvage, les poils en bataille, les yeux baissés. Une bouillie hirsute aux poils gras et souillés.

Et le pire restait lorsqu'une de ses crises se déclenchait alors qu'un patient était dans la tanière. Dans ce cas-là, elle voyait son mentor s'empresser de sortir le patient de sa tanière, et celui-ci qui souvent la regardait avec terreur et dégoût (« Mais c'est quoi cette petite folle ? C'est quoi cette petite hystérique ? Qu'est-ce qu'il lui arrive ? Noyau d'Abricot, elle est folle à lier, la p'tite ! » était généralement le genre de phrases qu'elle entendait).

Elle savait que toute la tanière des apprentis était au courant de ses crises, des cris qu'elle poussait. Elle dormait dans la Pièce aux Plantes, comme Noyau d'Abricot les soirs où il n'allait pas dormir avec Galet Bleu. Parfois, elle suppliait Noyau d'Abricot de rester pour veiller sur elle. Elle avait bien trop peur.

Lorsque les autres enfants de son âge la regardaient, elle entendait bien les ricanements, les moqueries, même en prétendant ne pas y faire attention. Lorsqu'un autre apprenti venait la regarder comme une bête curieuse (« hé les gars, c'est ça, la folle ? Je m'attendais à pire ! Hé, la folle, tu vas me prédire mon avenir, sale hérisson ? ») elle lui feulait dessus et n'hésitait parfois pas à le frapper. Cela se terminait systématiquement mal pour elle. Elle devait se farcir les parents et le mentor de l'apprenti, qui enguirlandaient Noyau d'Abricot pendant de longues minutes sur le thème de « cette petite n'est pas normale, elle est violente, c'est un danger pour les autres, c'est une sauvage, nos apprentis sont pourtant si sages et si gentils avec elles, c'est ce qu'ils disent ! » et qui lui jetaient des regards de pur dégoût. Une fois, Noyau d'Abricot, exaspéré, avait répondu quelque chose qui ressemblait à : « Bon, écoutez-moi bien, bandes de têtes de nœuds. Le jour où vous aurez quelque chose qui ressemblera de près ou de loin à du courage, vous irez plutôt essayer d'éduquer vos propres gamins correctement au lieu de vous en prendre à une p'tite fille qui est sans doute plus courageuse que vous tous réunis. Alors vous êtes bien gentils, mais vous allez dégager d'ici et dire à vos sales mômes de ne plus jamais embêter Nuage de Rêve. Commencez d'abord par vous posez des questions sur la façon dont vos sales marmots soi-disant irréprochables agissent entre eux avant de vous en prendre à un bouc émissaire. Cordialement, allez vous faire voir, j'ai des baies de genièvre à trier.» Et sur ces mots, il leur avait littéralement claqué la porte au museau. Rêve avait ri, puis l'avait remercié à profusion.

- Y'a pas de quoi, ma petite Rêve, avait-il ronronné ce jour-là, oublie pas que je lis dans les pensées. Ces pères idiots, la moitié d'entre eux trompent leurs compagnes et traiteraient de garce n'importe quelle femelle qui ferait pareil. Les mères, n'en parlons même pas ! Plus frustrées qu'elles, tu meurs. 'S'ennuient comme c'est pas possible, ces harpies, à gâter leurs sales gosses. Elles seraient prêtes à retourner la terre entière pour ne pas avoir à admettre que leurs petits trésors sont des sales mômes qui en harcèlent d'autres en cachette.

Le Chêne et le Roseau - Fanfiction La Guerre des Clans [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant