Presque un mois à passer depuis qu'Albin a été puni et enfermé au cachot. Aujourd'hui, il en est sorti, après avoir passé quatorze jours, une demi-journée par semaine passée loin de l'orphelinat. Lorsqu'il a enfin été délivré, il tenait à peine debout, il était maigre et sa peau était aussi blanche que la neige. Ses cernes, aussi noirs que du charbon, lui donnaient un air cadavérique. Il faisait peur à voir. Albin a été traîné sans ménagement par le jardinier vers le dortoir des garçons, suivi de près par Annie qui le suppliait d'y aller doucement.
Un frisson d'horreur traverse mon dos en repensant à cette scène. Le pauvre Albin, lui qui est toujours si fier, faisait vraiment peine à voir... Mais en même temps, après avoir passé autant de jours en enfer, on ne peut pas en ressortir indemne. Ceux qui y ont été pour une longue durée, n'ont plus jamais été les mêmes...
Un nouveau frisson dévale ma colonne vertébrale. Je secoue vivement la tête pour arrêter de penser à tout ça et je me concentre sur le chiffon que j'ai entre les mains. Je me remets à frotter vigoureusement la table à manger. Comme après chaque repas, nous sommes chargés de nettoyer le réfectoire. Pendant que certains s'occupent de laver la table, les bancs et le sol, les autres font la vaisselle. Ce midi, je suis de corvée de nettoyage de la table, alors armée de mon chiffon, je frotte la table en bois massif pour y dénicher les miettes de pain niché dans les fissures de la table.
Alors que j'arrive enfin à retirer les miettes coincées, je remarque que plus personne ne bouge. Intriguée, je relève la tête. La directrice est là. Elle se tient debout dans l'encadrement de la porte, droite comme un pique, les mains jointes et le visage sévère, elle ne dit rien. Pendus à ses lèvres, nous retenons tous notre respiration, un milliard de questions nous envahissent, espérant silencieusement que ce n'est pas nous qu'elle vient chercher. Je commence à trembler en imaginant que j'ai bien pu faire quelque chose qui lui a déplu.
Après quelques secondes qui nous paraissent à tous une éternité, elle dit qu'une voix froide, sans émotion :
— Albin peut reprendre le travail, il commence maintenant, avec vous. Tâcher de le traiter normalement, il ne mérite pas de compassion de votre part. Est-ce clair ?
— Oui, Madame la Directrice, répondons-nous d'une seule voix.
— Bien, il arrivera dans quelques minutes, reprenez, maintenant, claque-t-elle avant de quitter la pièce.
Une fois la sorcière loin, nous reprenons tous notre souffle avant de reprendre notre travail.
Pauvre Albin... Bien sûr, je suis contente d'apprendre qu'il va mieux, mais est-ce que c'est réellement le cas, où juste que la sorcière ne voulait pas qu'il reste au lit un jour de plus ? Cela ne fait que dix jours qu'il est sorti de l'isolement, ce n'est pas assez pour récupérer...
— Comme si j'allais lui faire un traitement de faveur, raille un des garçons à côté de moi.
— Moi non plus ! enchaîne un autre. Il l'a bien mérité de toute façon.
— C'est clair, rit le premier.
Mes doigts se referment fortement sur le chiffon dans mes mains en entendant leurs paroles cruelles. Comment peuvent-ils dire ça ? Personne ne mérite une telle punition, même si la bêtise est grosse ! J'ai envie de leur dire qu'ils sont horribles et qu'Albin mérite notre soutien, mais je n'y arrive pas, les mots restent bloqués dans ma gorge...
— Tiens, le voilà, lance soudain le deuxième.
Je relève aussitôt la tête. Il est bien là, debout, là où la sorcière se tenait il y a quelques minutes. Il s'arrête un instant, sûrement gêné par tous les regards braqués sur lui, mais il ne le montre pas, il ébouriffe ses cheveux bruns avant de s'avancer l'air déterminé vers à seau d'eau ou repose un chiffon pas utilisé. Au moment où il s'apprête à se baisser, il s'arrête net. Il est complètement crispé et se pince les lèvres comme pour retenir un gémissement de douleur. Devinant que c'est son dos qui lui fait mal, je commence à m'avancer vers lui pour l'aider à attraper le seau, mais une main me retient par le bras.
VOUS LISEZ
La petite orpheline
Science FictionLorsque l'on est une jeune orpheline en 1922, la vie est loin d'être un jeu d'enfant. Surtout, quand on habite dans un orphelinat où la règle principale est le silence. Où il est défendu de jouer et de rire. Où les enfants sont cloîtrés en attendant...