Sans un bruit, nous glissons hors du dortoir. Une fois dans le couloir, Mathilde me prend la main et nous longeons les murs sur la pointe des pieds. Mon cœur tape fort dans ma poitrine, à la fois terrifiée et excitée. Sentant ma nervosité, Mathilde se retourne pour me regarder avec un regard doux qui veut dire "ça va ? Ne t'inquiète pas, je suis là." Envoûtée par ses yeux bleus brillant avec la lumière de la lune, mon cœur arrête sa course folle et mon angoisse s'envole. Je sais qu'avec elle, je ne risque rien. Voulant lui prouver, ainsi qu'à moi-même, que je peux me montrer courageuse et forte, je prends une grande inspiration avant d'expirer lentement en prenant les devants.
Lorsque nous arrivons au haut des escaliers, la peur me submerge, j'ai l'impression d'être cerné par le danger. En haut se trouvent les chambres de surveillantes, à gauche celles des garçons, à droite celles des filles et en bas, dans les ténèbres, l'antre de la sorcière. Mon cœur se met à battre la chamade, mes jambes vacillent, je serre de toutes mes forces ma chemise de nuit, incapable de bouger. Soudain, je sens les mains de Mathilde se poser sur mes joues et me forcer à tourner la tête afin que je la regarde dans les yeux.
— N'aie pas peur, murmure-t-elle d'une voix rassurante, je suis là. Tout le monde dort, personne ne saura, je te le promets.
Les yeux écarquillés de terreur, je la fixe tout en essayant de calmer ma respiration saccadée.
— Je suis là, p'tite sœur, t'en fais pas, d'accord ? Mais si vraiment, tu as trop peur, je te raccompagne jusqu'au dortoir et j'irais seule, ça me pose pas de problème, je te jure.
Je secoue la tête en avalant difficilement ma salive et essaye d'articuler :
— N-non, ç-ça va... Je-je peux le faire.
Je prends une grande inspiration avant de la suivre dans les escaliers. À tâtons nous les descendons, nous figeant à chaque grincement du bois. Une fois en bas, Mathilde m'attrape la main en fixant le couloir sombre menant aux appartements de la directrice, prête à faire demi-tour si la sorcière apparaissait. Au bout de quelques secondes, ou il seul le tic-tac de l'horloge vient briser le silence pesant, Mathilde m'entraîne jusqu'au réfectoire que nous traversons en courant sur la pointe des pieds, ainsi que la petite pièce adjacente menant au sous-sol. Au moment où Mathilde ouvre lentement la porte pour descendre jusqu'à la cuisine, mon cœur bat aussi vite que les battements d'ailes d'un colibri, mes mains sont moites et mes jambes tremblent comme des feuilles au milieu d'une violente tempête. J'ai envie de pleurer et de rire en même temps, c'est assez étrange.
Main dans la main, nous longeons le mur dans le noir complet, j'essaie de me concentrer uniquement sur mes pieds pour ne pas louper une marche et laisse Mathilde me guider dans les ténèbres. Nous trouvons très vite la cuisine qui est la première pièce à droite en bas des escaliers.
Lentement, Mathilde ouvre la porte et s'y engouffre. Je la suis d'un pas hésitant. En me voyant, elle me prend par la main, m'emmène jusqu'au milieu de la pièce et me soulève pour m'asseoir sur la table en bois. Elle me sourit avant de se retourner et de courir vers la petite pièce du fond.
Lorsqu'elle sort de la réserve, elle a les bras chargés de nourriture. Mes yeux s'écarquillent de gourmandise quand elle pose sur la table, les tomates, concombre et carottes qu'elle portait. Elle prend aussi deux gros pains sur un meuble près du four et m'en donne un. Regardant avec envie sa croûte brune/oranger, je le sers entre les doigts. Au doux son du crépitement du pain, mon cœur se remplit d'une joie intense. Je ne sais plus la dernière fois où j'en ai mangé du frais... Sans plus attendre, je croque dedans me laissant envahir par son odeur délicieuse.
Soudain, Mathilde éclate de rire à côté de moi. Me rendant compte que je venais de gémir de bonheur, je rougis.
— Tu vois, Élia, c'est ça, le vrai goût de la nourriture ! C'est tellement meilleur que cette bouillie qu'on nous sert !
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La petite orpheline
Science FictionLorsque l'on est une jeune orpheline en 1922, la vie est loin d'être un jeu d'enfant. Surtout, quand on habite dans un orphelinat où la règle principale est le silence. Où il est défendu de jouer et de rire. Où les enfants sont cloîtrés en attendant...