Chapitre 20

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Retenant mon souffle, je suis du regard les trois femmes qui viennent d'entrer dans la pièce. De là où je suis, je ne vois que leurs longues robes balayant la poussière à leur passage, mais je repère tout de suite la robe noir corbeau de la sorcière.

— Qui est là ? aboya cette dernière.

Je sursaute de peur, tous mes membres se mettent à trembler et ma gorge s'assèche.

— Il me semble n'y avoir personne, Madame la Directrice, répond la surveillante chargée des plus petit, Madame Bisson, en faisant quelques pas vers le fond de la pièce pour l'examiner.

— Si ! grogne la sorcière. Il y a forcément un enfant ici, et je vais le trouver !

En disant ses mots, elle commence à faire le tour de la pièce, s'approchant dangereuse de moi. Mon cœur se met à battre la chamade douloureusement en la voyant arriver. D'une extrême lenteur, je me glisse vers le fond du lit, tout en essayant de retenir mes tremblements pour ne pas faire de bruit.

La directrice n'est plus qu'à quelques mètres de moi, si elle décide de regarder sous les lits elle me trouvera ! Ma respiration s'accélère, rapidement, je plaque mes mains sur ma bouche pour ne pas qu'elle m'entende. Je sens mes yeux me piquer et s'embuer de larmes.

Pourvu qu'elle ne se baisse pas. Pourvu qu'elle ne se baisse pas...

Ses pas se rapprochent lentement, j'ai l'impression que le temps fonctionne au ralenti, l'air devient pesant et irrespirable. Je commence à avoir du mal à respirer. J'ai envie de m'envoler loin d'ici, tel un oiseau, mais je ne peux rien faire. Je suis bloqué sous ce lit à attendre qu'elle me trouve, comme un lapin pris dans le piège d'un chasseur. Un pas après l'autre, la sorcière se rapproche. Elle n'est plus qu'à un mètre. Désormais, il n'y a qu'un lit entre elle et moi.

Elle va me trouver ! Elle va me trouver !

Des frissons parcourent mon corps qui se raidit, mes poils se hérissent, ma mâchoire se contracte et ma respiration se bloque. Des larmes silencieuses glissent le long de mes joues et de mes mains.

Pitié, pitié, seigneurs, faites qu'elle ne se baisse pas, faites qu'elle ne me voit pas, je vous en supplie, prié-je en fermant fermement les yeux et en posant mon front contre le sol poussiéreux pour ne pas assister à ma mise à mort.

— Madame, intervient la surveillante, brisant le silence et ma torpeur par la même occasion.

J'ouvre doucement les yeux en relevant la tête, mais je reste immobile, appréhendant ce qu'elle va dire.

— Uhm ? grogne la directrice en se tournant vers la femme.

— Je pense qu'il n'y a personne ici, regardez, ce sont ces chaises qui ont dû tomber et faire ce boucan.

— Et alors ? Elles ne sont pas tombées toutes seules ! Il y a forcément quelqu'un ici, je vous dis !

— Regardez, je viens de trouver un oiseau apeuré, coincé dans un vieux tissu par terre. La fenêtre a dû s'ouvrir avec le vent, ce coquin a dû rentrer et n'a pas dû réussir à sortir. Il a paniqué et a fait tomber les chaises. C'est lui qui a fait tout ce bruit, pas un des enfants.

La sorcière s'approche de la femme sans un mot et reste silencieuse encore plusieurs longues secondes, semblant réfléchir à ce que la surveillante vient de dire.

— Vous avez probablement raison, marmonne-t-elle soudain, semblant agacée.

— C'est sûr, dit la seconde surveillante en rejoignant les deux femmes, et puis aucun enfant ne viendrait ici, ils savent qu'ils n'ont pas le droit, ils savent les répercussions si nous les trouvons ici.

— Sûrement, fini par dire la directrice, agacée. Bien, maintenant que cette histoire est résolue, allons-nous en, cet endroit me donne des nausées. L'odeur de cette pièce me monte à la tête. Et jetez-moi cet oiseau par la fenêtre, termine-t-elle en sortant dans la pièce

Après avoir fermé la fenêtre et remis en ordre les chaises, les deux surveillantes suivent la directrice et sortent du dortoir. Une fois la porte fermée, je pousse un long soupir de soulagement. Tout mon corps se détend et je me remets à respirer normalement. Je pose ma joue sur le plancher, épuisée par ce qu'il vient de se passer. J'ai l'impression d'être sur un nuage, une sensation de bonheur et de plénitude m'envahit, c'est comme si je revivais. Tous mes membres semblent engourdis, c'est comme si je n'avais plus la force de me relever, mais ce n'est pas grave, car je n'en ai pas envie tout de suite.

Dans cette position, je peux observer ce qui m'entoure. Au milieu de vieux cartons à moitié mangés par les souris et des touffes de poussières plus grosses que ma tête, je remarque sous l'armoire une boîte en bois qui me semble étrangement familière qui attire mon regard. Je me tire de dessus du lit et me relève en m'aidant du rebord en métal. Mes jambes semblent molles et je prends quelques secondes à revenir à la normale. Je me frotte ensuite les mains pour enlever la poussière, avant s'essuyer mon visage qui en est aussi recouvert. Je secoue ma robe pour enlever toute la saleté qu'il y a dessus, me faisant tousser. Une fois propre, je me dirige vers l'armoire pour prendre la boîte. D'un geste de la main, je balaye la boîte poussiéreuse en la ramenant près de la fenêtre pour mieux voir. En la voyant mieux, je reconnais tout de suite cette vieille boîte faite que de quatre moreaux de bois cloués les uns aux autres et avec un drap marron dessus en guise de couvercle. Mon excitation monte en retirant le tissu, laissant apparente ange.

C'est une poupée que Mathilde m'avait fabriquée. Je n'arrive pas à me souvenir de tout car j'étais trop petite, mais je me rappelle qu'une fille était arrivée à l'orphelinat avec une poupée, je ne sais plus ce qu'elle est devenue, elle a été probablement confisquée par la directrice ou cassée par les autres enfants par jalousie, mais je me souviens que j'étais très jalouse de cette fille. Mathilde m'avait alors conduite ici pour me présenter ange. Elle l'avait fait seule, en secret pour moi. C'est juste une toile de jute, rembourré avec des morceaux de vieux tissus et une corde enroulée autour pour faire une tête, mais je me souviens encore très bien de la joie que j'avais ressenti quand elle me l'avait montré. C'était la première fois que quelque chose était pour moi, elle n'était pas la plus belle, ni la plus douce, mais je l'aimais, j'étais tellement heureuse. C'est moi qui lui ai trouvé son prénom "Mésia", c'est un nom qui désigne les Mésange en Normand. En lui donnant le nom d'un oiseau elle pourrait ainsi s'envoler de cet endroit vers un monde mieux qu'ici et nous emmener avec elle. Malheureusement, nous avons dû la cacher aussitôt, après pour que personne ne la découvre, sinon on aurait eu des ennuis. Nous l'avons mise dans un ancien travail raté d'un élève qui traînait là, mit ce tissu dessus et nous l'avons caché, au fil du temps, j'ai fini par l'oublier, jusqu'à maintenant.

— Je suis désolée de t'avoir abandonnée, Mésia, murmuré je en la prenant dans mes bras. Tu te demandes sûrement où est ta deuxième maman... Bah, elle est plus là... Elle est partie...

M'appuyant contre le mur, je me mets à lui raconte toute l'histoire de Mathilde et de la lettre. Elle m'écoute attentivement sans dire un mot, sans se moquer ou me dire que j'ai tout inventé pour faire mon intéressante. Étrangement, plus je lui parle et plus je me sens légère, c'est comme si on venait de me soulager d'un gros point sur mon cœur.

Voyant le soleil décliner dans le ciel, j'écarquille les yeux de surprise, je ne pensais pas avoir parlé si longtemps, il va être l'heure du dîner et si je suis en retard, je serais encore privée de nourriture ! Rapidement, j'essuie les larmes sur mes joies et remets ange dans sa boîte. Avant de la refermer, je caresse sa joue rugueuse en murmurant :

— Je suis désolée de t'enfermer encore ici toute seule, mais si on te voit, j'aurais des ennuis, mais je reviendrais, promis...

Je lui souris une dernière fois avant de refermer la boîte et de la glisser sous l'armoire.

En sortant de la pièce, je fais attention que personne ne soit là et peux me voir et je me glisse rapidement en dehors pour rejoindre les autres dans le réfectoire et m'assieds à ma place. Je soupire de soulagement en voyant que j'arrive juste à temps. En silence, nous attendons tous l'ordre de la directrice pour nous autoriser à manger. Une fois autorisée à le faire, j'attrape ma cuillère et commence à manger cette soupe à l'eau sans goût, tout en repensant à ange et aux jours où ma sœur me l'a offerte.

La petite orphelineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant