Aujourd'hui, comme tous les vendredis, c'est le jour des lessives. Chaque semaine, nous lavons tous les draps et vêtements. Ça a toujours été un de mes moments préférés, car à chaque fois, il flotte dans l'air une délicieuse odeur de savon, qui englobe l'orphelinat, ce qui change de l'odeur de bois habituel. Mais aujourd'hui, je suis encore plus contente, parce que cette semaine, c'est mon groupe qui est chargé d'étendre le linge. Et de toutes les corvées qu'on a à effectuer, celle-ci est vraiment celle que je préfère. La senteur fraîche du savon me donne l'impression de sortir de cet endroit, d'être dans une maison belle, accueillante et chaleureuse, pleine de couleur. Alors, même si laver et étendre le linge peut être pénible, surtout en hivers, car nous sommes complètement frigorifiées et que nos mains nous font mal à cause du froid, je suis toujours enthousiaste quand c'est mon tour de faire le linge.
Et puis le point positif, c'est que l'étendoir à linge se trouve au fond de la cour arrière, à l'opposé du bureau de la sorcière. Elle dit que nous faisons trop de bruit et que cela l'insupporte, et ce n'est pas pour nous déplaire.
En temps normal, nous sommes contrôlées par les surveillantes, sauf en hivers, car comme elles le disent si bien : « il fait trop froid pour mettre un nez dehors, on finira par geler sur place ! » Elles préfèrent donc rester à l'intérieur, près du feu de cheminée dans la grande salle, celle où les enfants n'ont pas le droit d'aller, sauf pour faire le ménage. Mais comme il faut bien des personnes pour vérifier qu'on fasse bien nos corvées et éviter qu'on en profite pour s'amuser, elles ont relégué cette tache aux aînées de l'orphelinat. Ces filles, de seize ou dix-sept ans, ont pour ordre de rapporter le moindre faux pas et ont le devoir de nous punir si elles jugent qu'on fait trop de bruit. Mais malgré ça, je préfère de loin que ce soit les grandes qui jouent le rôle de surveillante, au moins, elles aussi doivent faire leurs corvées et donc elles sont moins attentives, ce qui nous permet de chuchoter lorsqu'elles sont loin de nous.
Je hume une énième fois la bonne odeur du savon sur la robe blanche que je tiens dans la main, avant de la poser sur le fils de l'étendoir, juste à côté de la chemise que j'ai précédemment accroché.
Alors que je m'apprête à prendre une autre robe propre dans le panier en osier, j'aperçois Denise un peu plus loin. Elle est en train de mettre son écharpe autour du cou d'une petite qui a l'air frigorifié, tout en lui murmurant quelque chose que je ne peux pas entendre, mais que je devine être réconfortant vue que la fillette hoche la tête en lui souriant. La petite se remit aussitôt au travail en plongeant ses mains dans le panier et en ressentir une salopette qu'elle tend à Denise. Cette dernière, désormais sans écharpe et avec seulement un léger manteau pour se protéger du vent glacial, attrape le vêtement et l'accroche au fils, tout en souriant joyeusement. Vu ses lèvres légèrement bleutées et ses joues, son nez et ses mains rougies par le froid, elle doit être gelée, pourtant elle n'en montre aucun signe. Comme toujours elle fait passer les autres avant elle-même. Mais, maintenant, je sais pourquoi elle a toujours agi ainsi avec nous...
Mes yeux commencent à me piquer et une boule se forme dans ma gorge, en repensant à tout ce qu'elle m'avait raconté la dernière fois. Cela fait plus d'un mois, pourtant ses mots continuent de tourner en boucle dans ma tête. Désormais, à chaque fois que je la vois, je me pose toujours la même question : comment fait-elle pour ne rien montrer et pour garder le sourire en toutes circonstances ? Je sais pourquoi elle se comporte comme ça, mais je ne comprends pas comment elle en est capable. Comment est-ce possible ? Elle agit comme si de rien était. Comme si elle n'avait rien vécu d'horrible il y a quelques années... Si cela avait été moi à sa place, jamais je n'aurais pu y survivre, j'en aurais été incapable, c'est une certitude.
Soudain, mon souffle s'arrête lorsque je remarque qu'elle me fixe. Je lui souris maladroitement, avant de baisser la tête en me tournant dos à elle. Il ne faut pas qu'elle me voie comme ça, sinon elle va se sentir coupable et elle va une nouvelle fois venir s'excuser de m'avoir tout raconté. J'essaie de la rassurer làdessus, mais là vérité c'est que c'est trop dur de savoir, trop dure d'imaginer. Mais ce qui me rend triste, c'est que je n'ai même pas été capable de la réconforter comme il le fallait... Je n'étais pas la bonne personne à qui en parler...
![](https://img.wattpad.com/cover/156280398-288-k520575.jpg)
VOUS LISEZ
La petite orpheline
Science FictionLorsque l'on est une jeune orpheline en 1922, la vie est loin d'être un jeu d'enfant. Surtout, quand on habite dans un orphelinat où la règle principale est le silence. Où il est défendu de jouer et de rire. Où les enfants sont cloîtrés en attendant...