Le temps semble fonctionner au ralenti. Ma respiration se calque sur le tic-tac de l'horloge et mes yeux s'élargissent de terreur au fur et à mesure que la porte s'ouvre. Lorsque le visage crispé par la rage de la sorcière apparaît, mon souffle se bloque dans ma gorge. Toute la joie de ces dernières minutes s'évapore et laisse place à un froid glacial et terrifiant. Son regard de vipère me fusille. J'ouvre la bouche pour m'excuser, mais aucun son ne sort. Sans dire un mot, elle scrute la pièce. Un frisson d'effroi dévale ma colonne vertébrale, redoutant le moment fatidique où elle trouvera Émile. Lorsque son attention retombe sur moi, je baisse aussitôt la tête en fermant les poings et serrant la mâchoire pour tenter de contrôler mes tremblements.
Elle ne dit rien. Pas un bruit. Il n'y a que le tic-tac incessant de l'horloge qui brise le silence de mort qui a envahi la pièce. Je retiens ma respiration. Les mains derrière le dos, je triture ma robe, attendant que la directrice annonce ma sentence. Elle a dû voir Émile, alors pourquoi elle ne dit rien ? Pourquoi elle ne bouge pas ? Elle réfléchit sûrement à une façon de me tuer. J'en suis sûre. J'ai désobéi. J'ai osé faire du bruit. Pourquoi j'ai fait ça ? Pourquoi j'ai été aussi bête ? Je suis stupide.
— Suis-moi, claque froidement la sorcière, me faisant sursauter.
Je la fixe sortir de la pièce sans pouvoir faire le moindre mouvement, ne réalisant pas ce qu'il se passe. Je cligne plusieurs fois des yeux avant d'enfin réussir à bouger. Sans comprendre comment j'y arrive, je me mets à la suivre un pas après l'autre en me forçant à ne pas courir dans le sens inverse. Avant de quitter la pièce, je jette un coup d'œil vers la fenêtre.
Personne.
Il n'y a personne. Émile a disparu. Je soupire de soulagement. Il a dû réussir à se cacher.
— Élia, ordonne la sorcière, me faisant sursauter.
Sans un mot, elle m'attrape le bras et me tire vers la porte. Sa prise est si forte et brusque que je lâche un cri de douleur. Impuissante et terrifiée, je la laisse me traîner dans le couloir et descends les escaliers sans résister.
Arrivée devant son bureau, elle ouvre la porte et me pousse durement à l'intérieur. Debout au milieu de la pièce, tremblante et la tête rentrée dans mes épaules, je la fixe, les yeux écarquillés et débordant de larme, s'asseoir à son secrétaire. Dessus, sont éparpillés plusieurs feuilles et crayons comme si elle avait dû quitter ce qu'elle faisait précipitamment. Ma respiration s'accélère en comprenant que j'ai dû la déranger dans son travail. Elle n'a pas demandé à une surveillante de venir, elle y est allée elle-même. Personne n'est autorisé à déranger la directrice, sous aucun prétexte, si elle s'est déplacée, c'est qu'elle doit vraiment être en très en colère.
D'un geste lent, elle joint ses mains devant elle, avant de se redresser et de me toiser du regard, indifférente au fait que je le liquéfie sur place. Les yeux rivés sur le sol, je triture ma robe, redoutant le moment où la sorcière me punira.
Si Mathilde avait été là, elle serait venue à mon secours, jamais elle ne m'aurait laissée seule. Mathilde, j'ai besoin de toi...
— Élia, commence-t-elle d'un ton sec, n'as-tu rien à dire ?
— J-je... murmuré-je d'une voix rauque à cause des larmes.
— Plus fort !
Je sursaute. Mon cœur bat à tout rompre, mes jambes vacillent et mes mains deviennent moites. Les larmes menacent de déborder de mes yeux. Je remplis autant que possible mes poumons d'air pour me donner du courage. Je me racle la gorge en me mordant les lèvres avant de répéter d'une voix tremblante :
— J-je suis désolée, Ma-Madame la Directrice.
— Pour quoi ?
— Pour avoir fait du bruit, madame la Directrice...
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La petite orpheline
Science FictionLorsque l'on est une jeune orpheline en 1922, la vie est loin d'être un jeu d'enfant. Surtout, quand on habite dans un orphelinat où la règle principale est le silence. Où il est défendu de jouer et de rire. Où les enfants sont cloîtrés en attendant...