Chapitre 18

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Plusieurs jours ont passé depuis que la sorcière a déchiré la lettre que m'avait écrite Mathilde. Pourtant, je ne peux pas m'empêcher d'y penser à chaque instant, malgré ce qu'en disent les autres. Ici, tout se sait très vite et en moins d'une heure toutes les personnes de l'orphelinat avaient été mises au courant. Certains compatissent et ont de la peine pour moi, mais la plupart se moquent et me traitent d'idiote. Pour eux, il est évident que c'est impossible que Mathilde l'ait écrite, soit on a voulu se jouer de moi, soit c'est moi qui aie tout inventé pour me rendre intéressante. Cette dernière fabulation est d'ailleurs vraiment bête, pourquoi aurai-je cherché à me faire battre par la sorcière ? Ce sont eux les idiots pour penser que ça me fait plaisir d'être punie par la directrice. Mais de toute façon je me fiche bien de ce qu'ils peuvent raconter, je sais que c'était vraiment une lettre de Mathilde et c'est justement ça qui me fait mal. Surtout, depuis qu'Annie m'a annoncé qu'elle n'avait pas réussi à reconstituer le papier, réduisant ainsi mes derniers espoirs de savoir ce que ma sœur m'avait écrit en miettes. Mais elle à quand même trouver deux petits morceaux de papier que je garde dans ma poche de tablier : « ma très chère petite sœur » et « je t'aime ». Ils sont toujours avec moi, comme ça, c'est qui si elle était près de moi aussi.

Soudain, je sens les pointes dures de la brosse s'enfoncer dans la paume de ma main, me faisant revenir à la réalité. Tout en desserrant cette dernière, je secoue vivement la tête pour chasser ces mauvaises pensées et me concentrer sur mes corvées. Je soupire longuement en regardant le nombre de marche qu'il me reste à nettoyer. Huit, exactement. Je plonge alors la brosse dans l'eau froide et la ressort pour laver celle sur laquelle je suis accoudée. Aujourd'hui, avec une petite dizaine d'enfants, je suis chargée de nettoyer l'escalier de l'entrée et le couloir. Sans qu'on ne lui demande quoi que ce soit, Charles s'est tout de suite autoproclamé chef de groupe et nous a tout distribué une tâche, la mienne, c'est de laver chaque marche après qu'Hortense a passé le balai. Et pendant ce temps, lui, ne fait rien à part surveiller et donner des ordres. Il a beau être un grand de treize ans, il n'est pas un adulte et encore moins un surveillant !

— Eh, Élia, chuchote Hortense en me donnant un petit coup de balai sur l'épaule pour que je lève les yeux vers elle. Ne le regarde pas comme ça, ou il va s'en prendre à toi !

Je hoche la tête et baisse les yeux vers mes mains devenues rouges/violettes à cause de l'eau froide. Hortense a raison, s'il me remarque, il va encore chercher à m'embêter, et en ce moment, son grand jeu, c'est de retourner le couteau dans la plaie avec la lettre que la directrice a déchirée. Depuis plusieurs jours, à chaque fois qu'ils me voient, lui et ses copains me rappellent que je ne saurais jamais ce que ce mot contenait. Mais ça, je le sais déjà, je n'ai pas besoin d'eux pour me faire culpabiliser.

Je ferme fortement les yeux pour chasser les larmes qui commencent déjà à monter, puis j'attrape, non sans mal à cause de mes mains gelées, la brosse pour la plonger dans l'eau. En voyant la brosse flotter au milieu du seau, heurtant par moments le côté à cause des petites vagues qui se sont formées à la surface, mes yeux s'assèchent complètement et mon regard devient flou, absorbé par cette eau agitée semblant bercer un navire entre ses bras. Est-ce que, dans cette lettre, Mathilde me racontait des voyages dans un pays lointain sur un bateau ? Ou au contraire vit-elle dans une ferme entourée d'animaux ? Je ne le saurais jamais...

— Mais moi, je peux te le dire...

Cette voix... Je me retourne lentement, n'en croyant pas mes oreilles. Mes yeux s'écarquillent en apercevant celle que je pensais avoir perdue pour toujours ; ma sœur.

Mathilde se trouve une dizaine de marches en dessous de moi, souriante et lumineuse. Les cernes noirs qui assombrissaient son regard ont disparu, son teint pâle habituel a laissé place à de jolies joues rosies et ses longs cheveux noirs en pagaille sont maintenant coiffés d'un magnifique serre-tête bleu ciel comme ses yeux. Elle n'a plus les vêtements de l'orphelinat, mais une très belle robe à smocks, comme celle qu'il y a dans le livre « le petit lord Fauntleroy » , de la même couleur et de petite sandalette noire. Elle est vraiment magnifique ainsi, on peinerait presque à la reconnaître.

La petite orphelineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant