Prologue

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Perchée en haut d'un arbre, la jeune femme cueillit un fruit. Du bout de la manche de sa chemise blanche, jaunie par l'usure, elle frotta la peau verte de la pomme, puis croqua sa chair juteuse. Elle savoura avec lenteur et délectation sa victuaille, sentant les gargouillis impétueux de son estomac s'apaiser. Elle était consciente que le mois passé avait été rude. C'était le début du printemps et durant l'hiver, le nombre de ses potentielles victimes diminuaient drastiquement. La jeune femme avait un fort besoin de sous, et elle n'attendait plus qu'une opportunité se présente.

Elle s'étala de tout son long sur la branche, et, les yeux vers le ciel, elle se laissa bercer par le calme bruyant d'une forêt vivante. Elle ferma les paupières et ne fit plus attention qu'aux bruit qu'elle entendait. Le bruissement des feuilles, chatouillées par une douce brise. Le craquement discret des brindilles écrasées par de petits rongeurs au sol. Le chant des oiseaux, merles et rouges gorges, qui sifflaient une mélodie enchanteresse et reposante.

Elle resta ainsi plus d'une heure, son esprit partagé entre un léger sommeil et une profonde observation auditive, avant qu'elle ne perçoive, au loin, une présence autre que celles des habitants de la forêt. Elle ouvrit les yeux, et, sentant le bruit se rapprocher, elle se redressa.

Ce furent six soldats. Six sbires du roi, chevauchant des montures guindées, royalement drapés, qui, discutant entre eux, effectuaient d'un trot léger leur ronde quotidienne, leurs missions balayées par de doux rayons de soleil, illuminant le chemin principal. Elle les avisa distraitement, chacun leur tour, eux et leurs scintillantes armures qui produisaient de nombreux cliquetis insupportables.

Si elle se voulait plus honnête, c'était tout ce qui touchait à la royauté qui l'insupportait. Néanmoins, aussi tête brûlée et irréfléchie qu'elle était, elle ne se risquerait plus jamais, ni elle, ni personne d'ailleurs, à attaquer un des soldats du roi, elle n'allait pas en attaquer six. Elle avait très peu de chance de s'en tirer vivante, et, si par une quelconque clémence, ils ne faisaient que la capturer, son destin serait finalement bien plus funeste. Par précaution, elle se recroquevilla plus habilement derrière le tronc d'arbre, se cachant derrière son feuillage touffu, patientant ainsi le temps qu'ils disparaissent.

Elle soupira de soulagement lorsqu'ils s'effacèrent de son champ de vision et reprit ses futiles distractions. Lorsque le soleil fut à son zénith, du bruit se fit de nouveau entendre au loin à travers les bois. Des gens se rapprochaient. La fréquence des sons répétés de leurs pas et les différentes voix qu'elle percevait lui permis de déduire, sans même à avoir à jeter un coup d'œil, qu'ils étaient quatre ou cinq. Cependant, au moment où l'objet de son intérêt entra dans sa ligne de mire, la jeune fille fut perplexe.

Elle découvrit cinq jeunes gens, d'à peu près son âge, si elle se fiait à leur lointaine silhouette, qui traversaient le chemin. Étrangement, ils ne guettaient pas les buissons, à la recherche d'une embuscade. Ni le sol, qui, sous un petit tas de terre, pouvait dissimuler un piège. En réalité, tout en discutant, ils observaient, chacun dans une direction différente, au loin, l'horizon, guettant l'arrivée de quiconque. La jeune fille réfléchit. La venue...des gardes ? se demanda-t-elle.

En approfondissant son observation, elle remarqua qu'ils ne ressemblaient en rien à la plupart des paysans qui traversaient habituellement la forêt. Ils étaient armés, tout comme elle. Il y avait deux jeunes filles parmi les jeunes gens. Elles portaient des pantalons-et non point des robes ou des jupes-tout comme la mystérieuse jeune fille, et leurs méfiances, leurs peurs envers les gardes ne pouvaient signifier qu'une chose : ils étaient des fugitifs.

La jeune mystérieuse sourit, l'idée de dépouiller des fugitifs l'intriguait, voir l'amusait. Elle se sentirait un peu moins coupable après coup. C'était bien dommage pour eux, pensa-t-elle, leur méfiance envers les autorités avait totalement absorbé la méfiance qu'ils auraient dû porter aux gens comme elle.

Seulement trois secondes s'écoulèrent lorsqu'elle les piégea. Lors de la première seconde, elle prit en main son arc placé dans son dos, et les regarda mettre chacun leur tour un pied dans son piège. Lors de la deuxième seconde, elle piocha dans son carquois sa flèche la plus pointue et arma son arc. Lors de la dernière seconde elle visa une corde, dissimulée sous un petit tas de feuilles vertes, qui par la saison, ne devait point se trouver au sol, et qui retenait un piège, prêt à se refermer sur ses proies.

Elle laissa glisser entre ses deux doigts, la corde bandée de son arme, et, la flèche alla se nicher tout droit dans sa cible. Les cinq fugitifs, sous le regard satisfait de la jeune voleuse, hurlèrent de surprise quand ils furent tirés dans les airs.

Avant de sortir de sa cachette, et gardant un calme olympien, elle tira sur le ruban pourpre, noué à une branche, auquel pendait un masque. Un masque en bois, sculpté de manière à représenter le haut de la tête d'un âne. Ses longues oreilles se dressaient fièrement au-dessus de son front tandis que son museau dissimulait le haut de son visage, s'arrêtant juste au-dessus de ses lèvres pleines et rosées. Elle noua le ruban dans sa nuque, et rabattit un capuchon brun, sur ses cheveux, pour mieux les dissimuler.

Personne ne devait la reconnaître.

Jamais.

Peau d'âne, il était une autre histoire : Tome 1, la princesse disparueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant