Chapitre 39 : Clair-de-lune

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[Del au crayon de papier, dessiné en cours comme toujours]


Le fatalisme de ces mots ébranla la silhouette pourtant solide de Delkateï. Dans cet instant lugubre, une envie brutale de nicotine s'imposa à lui, aussi déplacée soit-elle. Il oscillait dangereusement entre la lassitude et le rejet, l'ennui et la terreur, la raison et la haine. Les émotions soulevaient son cœur et il sentit sa poitrine se serrer, former un étau qu'il pouvait distinguer juste autour de lui.

—Vous ne pouvez rien faire pour empêcher ça, j'imagine, dit l'Italien.

—Non, je peux seulement rendre ce moment plus supportable. Je suis désolé, Delkateï.

Un court instant, l'adolescent eut envie de se révolter sur son triste sort, de l'ironie de la situation. Mais il se ravisa, pas suffisamment stupide pour s'épuiser inutilement. Pourquoi se débattre après tout ? L'irrévocable s'abattait sur le garçon comme la notion incroyable de destinée.

—Il me reste encore du temps ?

—Oui.

Déglutissant avec difficulté, Delkateï pria pour que les minutes restantes s'éternisent, ne prennent jamais fin. Eran l'observait avec un recul tout travaillé, appréhendant de nouveaux éclats. Il apercevait malgré tout une certaine fragilité dans l'attitude bien moins bravache de son fils. Comme si le poids des révélations et des événements prochains cumulés avait eu raison de ses dernières défenses. Ses épaules s'affaissaient comme soumise à ce fardeau.

—Quand Laurian est arrivé, j'ai pensé qu'il me sortirait de toute cette merde, que je pourrais m'en sortir. Maman a fini par accepter et tout a commencé. Les secrets, ce que personne ne veut dire et surtout, l'ignorance. On ne me disait rien, même après mon arrivée à Diolyde.

—Delkateï...

—Tout est devenu compliqué. Je pensais me construire un nouvel avenir et rendre fière maman. Je ne sais pas si je dois être déçu ou juste en colère. C'est trop pour moi, j'aimerais seulement avoir un peu de temps pour m'arrêter et réfléchir. Appuyer sur le bouton « pause » et prendre un moment pour mieux comprendre. Mettre la vie entre parenthèses afin d'y porter un regard plus sage.

L'adulte ne sut quoi répondre, pétrifié par ces paroles et par son auteur. Jamais personne n'avait vu l'adolescent sous ce visage, incroyablement sincère sans en devenir vulgaire. Il n'y avait plus aucune forme de provocation, juste une faiblesse qui se dévoilait au clair de lune. Une sensibilité ravivée par cet instant d'une immense importance.

—Et je ne peux pas juste rentrer chez moi, j'imagine ?

—C'est ce que tu veux ?

—Ouais, parfois j'en ai envie. Faire comme si je ne savais rien et quitter Diolyde. Ne plus avoir à penser à toutes ces conneries. Tout ça me fait vraiment chier !

Les mots durs signaient leur grand retour, mais la hargne n'y était plus. Delkateï tentait de se reconstruire, de se retrouver. Mais pourquoi chercher un garçon violent et insensible qu'il n'était finalement pas ? Par simple sécurité peut-être, par sûreté et par facilité. Un choix égoïste lorsque l'on ne connaissait pas les conditions adverses incluant le sacrifice entier de sa personne. L'Italien se sentait ainsi, comme un animal porté à l'autel encore bien vivant, hurlant vainement avant que son sang ne coule. Les derniers moments précédents celui-ci où la lame entaille sa gorge.

—Je suis désolé que tout te retombe dessus aussi vite et que tu n'aies pas pu profiter de Diolyde et de la vie ici.

—Être désolé ne suffit pas, avança son fils, sans que sa remarque ne soit dirigée vers une seule et unique personne.

INSTINCTS   Tome  1. L'école qui n'existe pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant