Min Yoongi {Ma lettre}

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Commande de SandrineE241

« Est-ce que tu te souviens de moi, de mes yeux, de mes lèvres, de la façon qu'elles ont de se retrousser quand mes sourcils se froncent lorsque je suis agacée ? peut-être te souviens-tu plus largement de mon corps, de mes jambes ou de mes hanches, de mes bras ou de mon cou, que tu as tant aimé embrassé ?

Te rappelles-tu de nos souvenirs d'enfance, non pas tous sans exception, mais les plus marquants, ou du moins ceux qui m'ont le plus marquée ? ceux dans nos petites cabanes chez moi, lorsque nous étions des gamins de cinq-six ans. On rentrait du primaire à cette époque-là, ou peut-être étions-nous encore en maternelle, la dernière année alors. On allait se planquer chez moi, dans mon grenier, puis avec plein d'oreillers qu'on volait à mes parents, des draps propres pour rendre ma mère complètement folle, on faisait des cabanes, et on se cachait dessous alors avoir « emprunté » je-ne-sais-combien de paquets de gâteaux et des lampes puis on goûtait en critiquant des gens gentils et innocents.

Ou alors au collège, quand on était plus dans la même classe, mais qu'on se retrouvait le soir en sortant des cours. Je me souviens, tu terminais avant moi, toujours, parce que contrairement à moi tu n'avais pas pris d'options, mais tu m'attendais pour rentrer avec moi, parce que c'était dangereux le soir pour les filles. Tu m'expliquais que ta classe était une classe d'imbéciles, et que tu voulais vivre de ta musique. J'avais toujours été la seule à croire en toi, et à te soutenir.

Au lycée, tu t'es renfermé au point où c'en était effrayant. J'avais peur pour toi, j'étais inquiète, je me tuais à essayer de comprendre pourquoi, qu'est-ce qui pouvait t'arriver. Quand je te parlais, tu stoppais toujours la discussion, m'insultant d'hypocrite, de personne fausse, d'être une manipulatrice égocentrique qui s'en fichait pas mal de ce que tu étais. Je me souviens encore de la douleur que j'ai ressenti quand mon cœur s'était déchiré à ce moment-là. Je me suis entièrement m'écrouler au sol. J'étais dévastée. Qui m'avait enlevée mon meilleur ami, mon seul ami, mon seul véritable ami, mon premier amour? Qui avait osé te rendre aussi méchant, froid, distant, médiocre? Qui? Pourquoi? Comment?

À dix-huit ans, sans nouvelle, sans rien, tu t'en es allé à Séoul je crois, poursuivre ta carrière, carrière que j'étais la seule à vraiment soutenir. J'y suis allée aussi je crois, j'en suis sure même, pour poursuivre ma vocation de pédiatre. J'aimais les enfants, mais mon enfance avait viré au cauchemar. Est-ce que c'était pour mieux te comprendre ? Savoir pourquoi ? Je ne saurais probablement jamais.

Puis, un soir, j'avais vingt-et-un an, peut-être moins, peut-être plus, c'était les environs de cet âge-ci en tout cas, je suis passée devant le bâtiment d'une chaîne télé, et j'ai découvert ton visage en grand, éclaire, lumineux, heureux, les cheveux décolorés, maquillé. Tu brillais de mille feux comme tu l'as toujours mérité. J'étais fière de toi, mais ce sentiment de tristesse au fond de moi, qui me rongeait, à savoir que tu avais fait ce que tu voulais, en silence, sans ne jamais rien me dire, j'étais déçue. Mais je devais m'y faire après tout.

Tu étais devenue une idole, une personnalité publique, une personne intouchable. Je ne pouvais plus t'atteindre.

J'avais ensuite poursuivi ma carrière à l'étranger, en Europe, pour un stage inoubliable. J'y ai rencontré des gens incroyables, et même quelques petits-amis mais mon cœur n'oubliait pas ton visage d'enfant, souriant, et aimant. Il combat encore ton visage, mon passé, qui m'empêche de voir dans le futur. C'est agaçant.

Je suis ensuite allée aux États-Unis, continuer encore ces si longues études. Puis, tu étais encore là. Tu étais partout et tu l'es encore. Ton beau visage partout sur les affiches de Times Square. Tes chansons dans les magasins, à la radio, à la télé, tu es partout.

Tu as atteint ce que tu voulais. Tu es ce que tu avais toujours voulu. Tu as atteint le paroxysme. Mais est-ce que tu es heureux ? Es-tu heureux d'avoir abandonné la personne qui t'a soutenu quand tu étais seul ? Es-tu heureux d'imaginer ce visage souriant qu'était le mien en pleurs à chaque fois que ta voix parvient à mes oreilles ? Es-tu simplement encore dans cet état d'esprit incapable de discerner correctement les choses ?

Est-ce que tu te souviens simplement de moi ? de mon visage, de ma peau, de mes yeux brillants maintenant éteints, de mes doigts qui jouaient avec tes cheveux, adolescents. Tu as dû oublier qui tu étais autrefois. Seuls tes parents t'importent, eux qui t'ont frappé et maltraité. Mais je ne peux pas t'en vouloir, on ne se souvient que des gens que l'on juge important.

Pour Min Yoongi. »

Une larme roula sur sa joue, bientôt accompagnée de centaines d'autres. Face à ces feuilles blanches sur lesquelles avait été écrite cette lettre déchirante, le jeune homme fondit en larmes, hurlant son désespoir aux autres membres, ses seuls amis, qui se précipitèrent à son chevet. Son visage était inondé, et ce moment de lecture des lettres de fan n'avait jamais été aussi éprouvant.

Ses amis le secouaient, demandant des réponses, mais seules des plaintes écourtées et douloureuses s'échappaient de la bouche du jeune homme. Il serra fort les papiers contre sa poitrine, les déchirant, les trempant.

Les autres étaient secoués de le voir dans un tel état de désespoir. Qui avait écrit quoi ?

Il se leva soudainement, chancelant et sans force. Il voulait la voir. Maintenant. Et tout lui dire. Mais où était-elle, et qui était-elle devenue ? une femme avec de la rancune ? une femme assagie par le pardon ? une femme mariée ou une femme qui l'attendait ? une femme accomplie ou détruite ?

Mon Yoongi ne le saura jamais. Certains destins sont faits pour ne jamais se rencontrer, et certains sont faits pour se déchirer, s'éloigner, et s'éviter en douleur.

BTS ImaginesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant