Chapitre 1

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            Voilà quelques jours que je suis arrivée à Metz. Enfin ça, ce serait seulement si j'habitais dans le centre-ville, seulement je n'y habite pas. J'ai élu domicile dans une petite ville dans les alentours par faute de moyens, à mon plus grand malheur. Je n'aurais jamais cru avoir à quitter ma petite vie tranquille de banlieue en Aquitaine pour venir en Moselle. Seulement, j'ai bien été obligée de me rapprocher du peu de famille qu'il me restait après le décès de mes parents, c'est-à-dire mon très cher frère, de trois ans mon aîné. Huit ans que je ne l'avais pas vu. Il faut dire qu'il ne s'est pas fait prier pour prendre ses jambes à son cou et partir de la maison dès qu'il l'a pu.

Lui a d'ailleurs la chance de vivre en centre-ville. Le bus qui m'a permis de relier mon minuscule appartement au sien, s'arrête et je descends de celui-ci. Un coup d'œil à droite et à gauche me permet de comprendre que mon frère est encore une fois en retard. Je souffle. Je ne sais pas à quoi je m'attendais, peut-être que j'avais espoir que la vie en autonomie l'avait changé. Enfin, je m'assois sur le banc de l'arrêt de bus et j'attends que mon frangin daigne montrer le bout de son nez.

Une sensation de froid et d'humidité se fait ressentir sur le bout de mon nez. Je louche et aperçois la trace d'un flocon. Un sourire incontrôlable prend le contrôle de mon visage et je ne peux m'empêcher de me lever pour profiter un peu plus de la sensation des flocons qui s'écrasent sur mon corps. Je ne sais pas pendant combien de temps je reste là, immobile les bras en étoile et les yeux fermés, le sourire béat toujours inscrit sur mon visage, mais suffisamment de temps pour que la voix de mon frère retentisse enfin au coin de la rue.

- Je vois que rien n'a changé, toujours amoureuse de la neige, sourit-il face à ma position. Je tourne la tête vers lui pour le scruter et m'apercevoir que chez lui non plus rien n'a changé. Il porte toujours ses vieux sweats et ses jeans avec des baskets.

- Comme tu dis, rien n'a changé. Toujours en retard à ce que je vois.

Il hausse les épaules et franchit le dernier pas qui nous sépare l'un de l'autre. Avant qu'il ne tente quoi que ce soit, je lui fais la bise et engage la marche vers l'endroit d'où il venait. Je ne le regarde pas mais je sais qu'il soupire et met les mains dans ses poches comme il l'a toujours fait. Il m'emboîte le pas et commence à me parler de la pluie et du beau temps, de lui, de sa vie... Il m'agace. Il fait comme si de rien n'était, comme si ces huit ans n'avaient pas existé, comme s'il avait été là.

Après dix minutes de marche où il n'a cessé de parler, je finis par prendre la parole, agacée.

- Tu n'étais pas là, craché-je.

Il s'arrête et je fais de même en me tournant vers lui. Mes yeux lancent des éclairs et les siens sont emplis de regrets et de tristesse. Mais sa compassion je n'en veux pas, enfin, en tout cas je n'en veux plus. C'est trop tard.

- Ecoute...., commence-t-il.

- Non ! Non Nathan, tes excuses et ta compassion, je n'en veux pas ! Alors, cesse de faire comme si tout allait bien, comme si tout était normal. Tu n'étais pas là, ni quand papa est mort dans un accident de moto, ni quand maman est tombée malade et encore moins quand j'ai dû tout gérer seule. J'avais besoin de toi, juste à ce moment-là, j'avais besoin d'un frère pour m'épauler, pour me dire quoi faire, quoi dire, pour me rassurer. Mais tu sais quoi ? Tu n'étais pas là. Je me suis débrouillée seule.

Bouche bée, il semble ne pas savoir quoi dire. Un voile de tristesse recouvre son regard mais je ne décolère pas. J'ai trop mal, trop souffert, trop de rancœur. Il finit par se ressaisir et tente de mettre sa main sur mon épaule, mais je recule et son bras retombe dans le vide pour revenir se placer le long de son corps. Il semble blessé mais je n'en ai que faire.

- Si tu ne veux pas me voir, pas me parler, ni renouer le contact avec moi, alors qu'est-ce que tu es venue faire ici ? Pourquoi as-tu déménagé pour te rapprocher de chez moi ? demande-t-il froidement.

Mon frère et moi avons toujours été comme cela. On peut s'aimer plus que tout mais lorsqu'on commence à blesser l'autre, on est capables de se détester et de se déchirer comme les pires ennemis. C'est à celui qui blessera le plus l'autre, mais je ne suis pas là pour cela.

- En fait, je n'en sais rien, enfin si je sais, l'espoir. Je pense qu'une part de moi espère encore et souhaite que tout aille mieux mais l'autre partie, et elle est grande, je peux te le dire, est trop blessée pour que cela se fasse maintenant. Et puis.... J'ai fait une promesse... à maman. Je lui ai promis de venir vivre près de chez toi. Tu sais, il va me falloir du temps mais si je suis ici aujourd'hui, c'est seulement pour te remettre certaines choses.

Je sors trois enveloppes de mon sac et les lui tends une par une.

- La première est une lettre de la part de notre mère, elle l'a écrite avant de mourir. Elle voulait te dire ce qu'elle avait sur le cœur plus que tout au monde, mais tu n'as jamais répondu au téléphone, dis-je sur un ton de reproche. La deuxième, ce sont les papiers du notaire à signer pour accepter la vente de la maison de famille. Une fois celle-ci faite, tu hériteras de cinquante pour cent de la vente de la maison. La dernière, c'est ce qui t'est dû, ton héritage, des biens matériels et de l'argent. C'est à toi, fais-en ce que tu veux.

Il saisit les trois enveloppes et je replace mon sac sur mon épaule, le regard fuyant, pressée d'en finir.

- Je vais y aller. J'espère qu'un jour mon cœur sera suffisamment apaisé pour qu'on puisse rétablir notre lien fraternel. Prends soin de toi Nathan.

Je tourne les talons et le laisse planté là, sur le trottoir. Revoir mon frère m'a fait repenser à tous les bons moments, mais surtout aux mauvais et à tous ceux où il n'a pas été là. Rien ne sert de s'éterniser, d'autant plus que la neige a continué de tomber et elle recouvre désormais toute la rue. Si je veux avoir une chance de rentrer chez moi, je ferais bien de vite reprendre le bus avant que ceux-ci ne passent plus.

J'ai d'ailleurs de la chance : le mien apparaît au bout de la rue alors que je viens de rejoindre l'arrêt. Je monte, paye et vais m'asseoir sur une banquette libre. Le véhicule démarre et je regarde le paysage, les écouteurs dans les oreilles. La neige m'hypnotise totalement, et c'est donc seulement une fois hors du transport que je me rends compte que je suis sortie de celui-ci au mauvais arrêt. Il est malheureusement trop tard pour remonter dedans, il a déjà repris sa route.

Je me retrouve au milieu d'un quartier que je ne connais absolument pas, de nombreuses grandes maisons isolées m'entourent. Je ne sais même pas où je suis par rapport à chez moi. Suis-je allée plus loin ? Moins loin ? Aucune idée. Je tourne sur moi-même et aperçois une grande maison de maître entourée de grands murs et d'un grand portail, qui sort du lot à mes yeux.

Je m'approche doucement pour ne pas glisser dans la neige avec mes baskets, et je m'arrête devant la grille. Elle est entrouverte. J'hésite entre sonner à l'interphone ou entrer directement mais je finis par passer le portail. Il ne me faut que quelques secondes pour atteindre la grande porte d'entrée en bois massif. Je toque. Perplexe, je me demande ce que je fais, pourquoi je suis ici et ce que je vais bien pouvoir dire aux personnes qui habitent ici. Je fais demi-tour et m'apprête à rebrousser chemin quand le battant finit par s'ouvrir. Une grande main chaude m'arrête en m'attrapant par le bras.

J'essaye de me dégager de son emprise mais celui qui me tient y met beaucoup de force. Sa voix rauque et grave retentit.

- Retourne-toi, gronde-t-il.

Prunelles écarlates (TOME 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant