|9| allions-nous,

81 10 69
                                    

Les arbres de la Forêt Originelle étaient des géants majestueux, mais ils faisaient pâle allure face à l'Arbre Mère. Un chêne gigantesque, d'une quarantaine de mètres de hauteur pour presque dix mètres de largeur. Son corps ridé gardait toute sa puissance vigoureuse et sa chevelure restait d'une verdoyante épaisseur, même après des millénaires d'existence. C'était l'empereur de cette forêt, ou du moins, il en était le trône. Trois heures qu'Idris se trouvait là et il savait déjà que l'émerveillement enfantin qu'il ressentait en sa présence serait un compagnon récurrent durant ses visites.

Gaïa suscitait aussi l'émerveillement, à sa manière. Son visage sculpté dans l'Arbre Mère fleurissait à leur vue, alors que son corps, enterré dans le tronc de l'arbre, leur était caché. Un visage d'une beauté sans âge, éclairé par deux yeux en amande noyés d'or irisé. Ambre, sève ou miel. Les images évoquées par la couleur de son regard manquaient d'éclat face à la réalité. Et ce qu'il y percevait lui faisait tourner la tête : sagesse, amusement, sévérité, douceur, froideur, chaleur.

A l'ombre de l'Arbre Mère et sous le regard de Gaïa, Idris avait l'impression d'être une fourmi face à un géant.

« De bien belles paroles, Enfant d'Onyx, mais nous en revenons toujours au même point. Pourquoi devrions-nous vous aider. Et où sont vos preuves pour appuyer vos accusations contre le gouvernement des Nuifées ? »

L'ombre de l'Arbre Mère projetait sur l'esprit un calme contemplatif. Mais après trois heures de négociation infructueuse, même la magie de l'arbre perdait en efficacité. Ils tournaient en rond depuis le début des négociations, ressassaient toujours les mêmes sujets : le trône de l'Empire leur revenait de droit, les injustices que subissaient leur peuple devaient s'arrêter, le manque d'aide et le bienfait de la participation des forces de la Vie dans le conflit qui approchait. Et ce n'était pas par hasard qu'ils avaient évité le sujet des preuves depuis le début de leur discussion. Idris échangea un regard avec Adrias. Il lut dans ses yeux la même frustration et la même lassitude qui devaient habiter les siens.

« Je n'ai pas de preuves physiques, commença Idris, décidé à répondre honnêtement. Et les témoignages à ma disposition seront reçus avec suspicion et dérision.

– Peut-être, ou peut-être pas, tu ne peux pas savoir avant de le faire. Alors va, présente-moi tes preuves»

Idris ferma les yeux quelques secondes. Quand il les rouvrit, il croisa ceux de Cerbère. Le loup blanc était allongé aux pieds de l'Arbre Mère, la tête sur ses pattes avant et les paupières à demi fermé. Aucun des hauts dignitaires des Enfants de Gaïa n'avait pris part à leur négociation, mais le Loup-Garou les avait suivi sans que personne ne s'y oppose, comme si sa présence était une évidence.

« Un de nos agents est infiltré et a été témoin du sacrilège. », répondit Adrias en voyant qu'Idris restait muet.

La froideur obscurcit le regard de Gaïa.

« Naï Seck Abaddon, cracha Gaïa. Pourquoi ne pas vous tourner vers lui, puisqu'il est déjà si bien engagé dans ce conflit ?

– Je ne veux pas du Diable dans mes affaires, marmonna Idris en se passant une main sur la figure. Je refuse d'être l'une de ses marionnettes. »

Un amusement mesquin remplaça la froideur.

« J'ai bien peur que tu le sois déjà. Et je n'ai pas envie de devenir l'un de ses pions, même pour une noble cause. »

La gorge d'Idris se noua. A ses côtés, Adrias examinait ses pieds, les mâchoires serrées et les sourcils froncés, anormalement tempérée. Il ne pourrait pas compter sur elle. Pourquoi, après toutes ces années, était-ce encore une surprise ?

La Révolte des Dragons |1| : L'EveilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant