La Fille du train

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Elle s'assoit en face de moi et je retiens mon souffle. Ou plutôt à l'inverse, j'essaye de respirer pour me convaincre que ce n'est pas elle qui a cet effet. Que ce n'est qu'une coincidence si j'ai la sensation de me forcer à regarder les paysages défiler plutôt que ses doigts recalant sa mèche comme chaque matin.

Comme pour mieux s'installer, ou peut-être pour dissimuler l'ocre de ses yeux que je n'ai pas le droit de contempler. J'augmente le volume de la musique qui se met à vibrer pour cacher le rythme d'un autre instrument à l'intérieur de moi qui a déjà commencé à accélérer.

Ses doigts jouent doucement avec son collier, une bague, probablement celle qu'un amoureux transi lui à donné. Avec ses pommettes couvertes de tâches de rousseur clairsemées elle ferait craquer n'importe quel être en état d'aimer.

Se concentrer sur les arbres, sur l'automne et sa couleur oranger, la même teinte chaude qui couvre ses cheveux. Je soupir d'exasperation, il faut que je me détache d'elle. Mais au lieu de la discrétion espérée, j'attire son attention par ma profonde inspiration.
Alors je fais comme si je n'avais pas remarqué, je cale ma tête contre le siège et ferme les yeux. C'est cette fois son parfum sucré qu'elle met depuis quelques jours qui s'invite dans mes pensées.

S'en est trop, je me lève, mon arrêt n'est que dans dix minutes mais j'ai besoin de m'éloigner.

_ Ca n'a pas l'air d'aller...

Je m'arrête au son de sa voix mais ne me retourne pas.

_ Oui je te parle à toi, à celui qui chaque matin est en face de moi.

Cette fois, je cesse de respirer mais pour une autre raison. Pour l'utilisation du mauvais pronom. En temps normal ça ne me dérange, pas, ce sont des gens que je ne reverrais jamais qui se trompent sur moi. Mais cette fois c'est différent.
J'arrive à articuler péniblement :
_ Si si ça va... J'ai juste besoin de...

Besoin de quoi au juste ? De recorriger la faute qu'elle vient de faire, au risque qu'elle me regarde de tavers ?
Je fixe mon uniforme pour aller bosser, chemise et pantalon, je ne peux pas lui en vouloir, en même temps j'ai toujours aimé forcer ce trait masculin qui m'a toujours habité. Et puis il ou elle, elle peut bien utiliser celui qu'elle veut.

Pourtant quand j'avance sans lui répondre d'avantage, je sais que cette sensation d'être contrariée c'est elle qui l'a provoqué.

Sur le quai je soupir, d'autant plus quand j'aperçois son regard interrogateur. Je suis partie sans rien lui dire, sans continuer ce qu'elle avait pourtant commencé.

Mais je sais qu'elle retentera demain matin, alors je suis censé faire quoi ? Une seule phrase et elle a tout fait basculer. Je frotte mes mains déjà engourdies.en me posant une seule question :est ce que demain matin j'écouterai mon envie de m'asseoir dans le même wagon, mais surtout est-ce que j'ai envie ou non de corriger le pronom ?

Textes L, G, B, T ou toutes les lettres que vous voudrezWhere stories live. Discover now