2 - LEONHARD

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Bon... allez, quand faut y aller, faut y aller. Debout devant mon miroir de salle de bain, je suis sur le point d'aller à la douche... mais avant d'aller me laver, je me suis donné une mission, alors il est temps de l'accomplir. J'espère franchement que je vais pas me rater - c'est pas le moment, y'a la soirée du nouvel an à la base, j'ai pas très envie d'y arriver avec une tête d'abruti. Je vérifie une dernière fois que mes mains ne tremblent pas trop - bon... ça devrait le faire, je vais pas non plus faire un travail d'orfèvre. J'allume donc finalement ma tondeuse... et je commence à raser, en partant de la nuque. Ça faisait... une éternité que j'avais pas fait ça. Plus jeune, je rasais quasiment à blanc tout le temps, c'était plus simple et plus pratique - ensuite, quand je m'étais mis avec Allison, c'était elle qui se chargeait de ma coupe, me les laissant un peu plus long vu qu'elle n'aimait pas la coupe militaire.

Et maintenant... depuis la fin de mon service, je les avais beaucoup laissé pousser. Et ce qui était parti d'une simple négligence de ma part était devenu une véritable crise capillaire. Je n'avais jamais vraiment laissé poussé mes cheveux de toute ma vie - et les avoir soudain un peu longs m'était apparu comme une révélation. J'aimais bien ça, en fait. Même les avoir dans les yeux à l'occasion me dérangeait pas. J'avais littéralement redécouvert leur couleur quand je les avais laissé poussé - ils avaient foncé depuis mon enfance, et de platine il étaient passé à un or foncé, éclatant au soleil, tirant sur le bronze dans l'ombre.

Des mois plus tôt, Eldridge avait pété une pilé, décrété que je ressemblais à un clochard (les plus longues mèches m'arrivaient alors aux épaules), et m'avait fait un coup en traître, prétendant « juste couper un peu pour simplifier l'accès à mes greffes », alors qu'il m'avait ratissé les cheveux comme ça ne m'était plus arrivé depuis longtemps. J'avais piqué une colère noire, et il avait juré de plus me refaire ce coup là... et des mois plus tard... c'est moi qui prend l'initiative de remettre enfin un peu d'ordre dans tout ça.

Actuellement, les mèches les plus longues m'encadrent le menton – d'ailleurs je suis aussi bon pour me raser tient, à la lueur du néon je peux voir le duvet blanc poindre sur ma peau pâle. Bon... c'est parti. Je commence à raser précautionneusement en partant de la nuque - je fais soigneusement les contours de la pointe de ma colonne vertébrale en titane jusqu'à la base de mon crâne, puis je change de sabot, et je rase d'un peu moins prêt jusqu'aux oreilles. Je change encore de longueur, et je rase les tempes - un tapis de mèches claires commence à se former dans l'évier et à mes pieds... mais une fois les oreilles dégagées, je dois bien avouer que je ressemble un peu plus à une créature civilisée. De toute façon, j'ai décidé de prendre de bonnes résolutions pour l'année à venir. D'essayer... de redevenir quelqu'un de bien. Ou déjà, quelqu'un tout court.

Et ma première résolution a pris effet pas moins de quatre jours plus tôt, après ma petite crise dans le labo d'Eldridge. Je ne sais pas ce qui m'est passé par la tête ce jour là... mais le soir même en rentrant, je vidais dans l'évier mes deux bouteilles de whisky... et depuis, je suis sobre. Les deux derniers jours n'ont pas été de toute tranquillité pour moi - j'ai quand même dû me rendre sur la base pour suivre mon programme, voir Eldridge, voir l'étudiante, reprendre l'entraînement physique avec les jeunes amplifiés, maintenant que mes côtes sont quasiment guéries. Et même si depuis le début de mon programme de réinsertion, je buvais beaucoup moins... le soir, je ne me privais pas de ma demi bouteille. C'était une addiction bien trop présente, bien trop ancrée en moi depuis la mort de mon père.

Ross et Eldridge avaient déjà essayé de me sevrer à de nombreuses reprises... sans succès. Je replongeais la semaine d'après, ou le mois suivant - et tout comme pour la cigarette, ils avaient fini par plus ou moins abandonner. Jamais la décision n'était venue de moi... c'était peut-être pour ça, que ça n'avait jamais fonctionné. Avant. Cette fois... j'ai eu beaucoup trop honte, de m'en prendre à Eldridge, qui a déjà tant fait pour moi. mais ça aurait aussi bien pu tomber sur Ross - ou pire encore... l'étudiante. ça m'avait fait... comme un électrochoc - je me rappelais très clairement de Ross me disant lors de nos premières séances que mon alcoolisme ne faisait qu'encourager les crises de SPT. C'était là qu'elle avait tenté de me sevrer, une première fois - sans succès.

Mais aujourd'hui... cette fois, je sens que c'est différent. Mon comportement m'a... dégoûté. Je ne sais pas si c'est un mécanisme inconscient pour me punir, ou une autre connerie du genre - mais en tout cas... même si l'envie physique est bien présente... je ne veux plus boire. Plus comme ça. Mais je sais que du coup, si je ne veux pas replonger malgré moi, je dois m'astreindre à une discipline de fer - je ne dois plus jamais céder, plus jamais me laisser tenter par la moindre goutte du moindre alcool. Ça va être dur... ça l'est déjà. Je n'ai quasiment pas dormi, je ne suis pas encore tout à fait remis de ma grippe de Noël, je me sens fébrile et parfois même nauséeux, agité - ce serait si simple de sortir, de me rendre à l'épicerie du coin, et de mettre fin à cet inconfort, ce mal-être latent qui me bouffe de l'intérieur...

Mais non, je dois tenir bon. Ce soir sera mon crash test - l'alcool coulera à flot, et moi... je devrais résister. Je peux le faire. Je le sais. Je m'encourage mentalement alors que je croise mon regard dans la glace - regarde, déjà, avec cette nouvelle coupe - cette coupe tout court en fait d'ailleurs - j'ai déjà l'air d'un autre homme. Il ne me reste plus qu'une crête de cheveux longs sur tout le dessus du crâne - je décide de couper plutôt que de raser, pour les garder un peu longs, dans un dérivé un peu plus urbain d'une coupe militaire classique. Je peigne la mèche devant mes yeux, et je coupe une frange maladroite avant de tout rabattre en arrière - voilà... ça fera le job. C'est mieux que rien. Et définitivement mieux... qu'avant.

Content de moi, j'en profite pour me raser soigneusement le menton, puis je nettoie l'évier, je ramasse les cheveux par-terre, et je vais prendre une longue douche bien chaude. Ça fait bizarre, de plus sentir mes cheveux dans la nuque... mais bon, c'est pour la bonne cause. Je m'active un peu sous la douche, parce que bon, j'ai pas envie d'arriver trop en retard non plus. Une fois propre, je constate que sécher mes cheveux prend trois fois moins de temps maintenant, ce qui est clairement un plus, et puis je vais enfiler mon costume de cérémonie bleu-marine. Mes galons d'officier sur les épaules, bien enveloppé dans mon costume, je lisse mes cheveux en arrière et je mets mon képi - ce que je peux avoir l'air collet-serré dans ce truc... mais bon, allez, pour une fois ça va pas me tuer. J'enfile mon manteau d'officier, et je mets les gants et l'écharpe grise offerts par miss Barns - ah merde d'ailleurs, faut pas que j'oublie son cadeau !!

J'ai eu du mal à lui trouver quelque chose de sympa - ça fait tellement longtemps que j'ai pas fait ça... j'espère que ça lui plaira. Et puis, je me sentais coupable de lui avoir mal parlé la dernière fois... j'espère que ça me fera pardonner. Bon, j'ai mes clefs, je suis propre, rasé, coiffé, habillé, tout endimanché - il est temps d'y aller. Dans le métro, les gens m'observent avec un mélange de curiosité et de respect - je suis davantage habitué à la méfiante et à la haine... c'est quoi, c'est le képi ?... Le fait que je sois propre et bien coiffé ?... Pourtant, mon œil au beurre-noir ne s'est clairement pas arrangé avec la patate qu'Eldridge m'a mise l'autre jour. Je sais pas trop... mais c'est pas désagréable. Ça me met de bonne humeur, et quand j'arrive sur la base, malgré l'atroce tiraillement du manque qui me dévore de l'intérieur, j'ai le pas léger. Je peux surmonter cette épreuve. Et puis, si jamais je sens à un moment que c'est trop pour moi, je pourrais juste... partir.

Quand j'arrive dans la salle, la soirée est déjà bien entamée - il y avait un repas de nouvel an normalement, mais ça, c'était un peu trop pour moi. Et puis, je voulais pas prendre le risque qu'on me serve du vin ou du champagne... je n'aurais pas été certain de pouvoir résister. Je laisse mon manteau au vestiaire, et je rentre dans la salle bondée et surchauffée – ça danse déjà pas mal sur la piste... et je distingue Ross au moment même ou elle me repère depuis la piste. Son long corps svelte moulé dans un fourreau or rose, ses cheveux châtain ruisselant en boucles épaisses sur ses épaules, elle ne porte pas ses lunettes, et elle est joliment maquillée - c'est une bombe, il faut bien le dire... et elle a bu, parce qu'elle m'atterrit directement dans les bras en gloussant.

- Leeeeeennyyyy, glousse t-elle en se cambrant dans mes bras, m'obligeant à passer un bras dans son dos pour la soutenir. Mais vous êtes supeeeeeerbe !! Je suis contente de vous voir, vous qui avez manqué le réveillon de Noël ! Heureusement, vous pouvez compter sur Cooper et sa fine équipe pour vous remettre d'aplomb quand il faut, lance t-elle en me faisant un clin d'œil, tout en désignant le dit Eldridge sur la piste, qui fait danser une des nana de la compta.

- Isabella, vous avez un peu abusé sur le champagne, non ?... demandais-je l'air de rien, un demi sourire aux lèvres.

- Chuuuuuuuuuut faut pas le dire, sourit-elle avec un nouveau clin d'œil. Amusez-vous commandant ! C'est la soirée ! s'exclame t-elle tout en rejoignant son cavalier qui l'attend sur la piste.

... Booon... J'irais peut-être saluer Eldridge tout à l'heure... en attendant, je commence à me demander ce qui m'a pris de venir ici moi...

Heart's Mechanic - New Year EveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant