cœurs sanglants | yoonmin

𝖈𝖍𝖆𝖕𝖎𝖙𝖗𝖊 𝖉𝖊𝖚𝖝

La pluie continue de tomber. Les gouttes frappent doucement les vitres, tandis que d'autres forment des flaques sur les trottoirs. L'atmosphère est morose, en proie à la mélancolie.

Jimin est allongé sur le grand canapé de Yoongi, éveillé malgré l'heure tardive. 

Les deux jeunes hommes ont passé une soirée tranquille, un plateau-repas, que le vert a préparé avec soin, sur les genoux. Au cours de cette soirée, le plus jeune n'a pas eu le courage de repartir. Yoongi est si gentil avec lui ; et cette gentillesse est spontanée, pas réfléchie. Cela fait du bien de pouvoir se lâcher l'espace de quelques heures. Alors, ils ont regardé un film, grignotant des friandises en échangeant des paroles légères.

Jimin a refusé que Yoongi lui prête son lit pour la nuit et a élu domicile sur son énorme canapé. Les mains croisées derrière sa tête, il observe le plafond en silence, tentant de faire un tri dans ses pensées qui ne cessent de courir dans sa tête. Il se sent bien, en sécurité, pour l'une des premières fois de sa vie. C'est tellement agréable, qu'on prenne soin de lui... il aimerait rester ici toute sa vie, si Yoongi s'occupe aussi bien de lui. 

Plus tôt, il a failli éclater en sanglots lorsque ce dernier lui a doucement gratté le crâne alors qu'il commençait à s'endormir.

C'est comme s'ils se connaissaient depuis des années. En quelques heures, un lien s'est créé entre eux, même si Jimin est resté timide et quelque peu sur ses gardes : qui peut lui en vouloir avec ce qu'il a vécu ? Il sait qu'aller chez un inconnu n'est pas prudent ni réfléchi, mais il a eu ce besoin de s'accrocher à Yoongi, ce jeune homme inconnu qui lui est venu en aide sans rien demander en retour. 

Jimin se plait à comparer Yoongi à un ange.

En sortant de chez lui, en colère, le brun n'a pas pensé à prendre son téléphone, un vieux modèle à touches, et s'est enfui par le métro pour que son père ne puisse pas le retrouver s'il se mettait à sa poursuite. Heureusement, il l'a rapidement semé dans le labyrinthe souterrain, a pris un train sans ticket, et s'est réfugié dans un café-terrasse à moitié vide, le cœur au bord des lèvres. 

Ce n'est pas la première fois qu'il fugue, et c'est sûrement loin d'être la dernière. 

Sa mère n'a rien dit quand son père a levé la main sur lui.

La seule chose qui n'a pas été prévue au programme est la dégradation du ciel. Jimin a été surpris par la pluie, et a été sorti de ses pensées par la fermeture du café. C'est là qu'il avait découvert l'heure, après avoir jeté un regard discret sur le téléphone d'un passant.

Presque six heures se sont écoulées depuis sa fugue, qui n'ont parues être qu'une vingtaine de minutes à ses yeux. 

Lorsqu'il franchira la porte de sa maison, les coups seront beaucoup plus violents et nombreux que d'habitude, la faute à sa fuite. La seule pensée de revoir son père tyrannique lui provoque l'apparition de larmes, qu'il essuie rageusement du dos de la main, et d'un début de crise de panique. Il concentre sa respiration sur les grondements du ciel et son cœur se calme doucement. 

Les pensées de Jimin s'égarent et il s'imagine, rêveur, ce que serait sa vie s'il habitait ici avec Yoongi. S'il quittait cette vie qui, au fond, n'en n'est pas une.

Il serait libre. Peut-être même heureux.

Malheureusement, il est temps d'arrêter de rêver, et de revenir dans la réalité : il doit rentrer chez lui. Avec un peu de chance, ses parents sont déjà couchés, et il n'aura qu'à faire semblant d'être rentré à l'heure pour éviter la correction de son paternel. 

En prenant une longue inspiration pour calmer le tremblement de ses mains, Jimin remet ses vêtements désormais secs, pliant soigneusement ceux de Yoongi, ainsi que la couette empruntée, sur le coin du canapé. À pas de loups, il cherche du regard un papier vierge pour y noter un petit mot de remerciement. C'est la moindre des choses ; déjà qu'il s'enfuit comme un voleur... Il trouve finalement un Post-it dans l'un des tiroirs de la cuisine, et s'attelle à sa tâche.

De toute façon, il ne reverra plus jamais Yoongi, alors autant ne pas s'attarder.

Cette constatation lui fait un pincement au cœur, mais il ne peut lui expliquer sa situation familiale. Cela le mettrait dans une position délicate, et il n'a pas envie que son nouvel ami ne le prenne en pitié. Il ne veux pas qu'il l'héberge parce qu'il se sente obligé de le faire.

Jimin attrape un stylo, couchant quelques mots sur le papier. Après avoir mis ses chaussures, il sort de l'appartement en prenant le soin de refermer délicatement derrière-lui pour ne pas alerter son hôte. 

Yoongi découvrira le mot demain, et comprendra normalement son comportement qu'il juge de lâche. Les larmes roulent sur ses joues rebondies. Jimin n'a pas envie de quitter ce cocon de bonheur, et encore moins son propriétaire, qui s'était montré si gentil et prévenant avec lui...

Encore dans le gaz, l'adolescent se dirige vers la station de métro la plus proche, frigorifié par la température extérieure. Ses joues sont humides, ses vêtements sentaient la lessive du vert qui les a lavés et séchés avec soin. Ses mains continuent de trembler.

Assis sur l'un des sièges, il guette l'arrivée d'un possible contrôleur tandis que ses pensées ne cessent de se diriger vers Yoongi, encore plongé dans le sommeil. Pourquoi est-il aussi lâche ?

Jimin arrive chez lui vers une heure et demi du matin, après s'être endormi dans le wagon, et rejoint le jardin à pas de loups. Il s'empresse d'emprunter le chemin habituel qui le mène à sa chambre et ouvre la fenêtre après un habile tour de passe-passe silencieux. 

Peut-être aurait-il dû rester chez Yoongi, cette nuit.

Il n'a pas vu la silhouette qui l'attend dans le noir.

Il passe une jambe puis l'autre, avant de refermer la fenêtre derrière-lui. Un bruit de froissement lui parvient dans la pièce. La main toujours posée sur la poignée de la fenêtre, Jimin ferme les yeux un instant, pris de sueurs froides. 

 Des mains le poussent violemment contre le mur avant de le retourner sans ménagement. Il subit un premier coup, puis un second dans la mâchoire. Sonné, il tente de se dégager ; en vain. La poigne puissante de son père le retient fermement.

— T'étais où, merdeux ? aboie-t-il, les yeux noirs de colère.

Du sang perle de sa lèvre, il a un goût âcre sur la langue. Jimin a envie de vomir. 

Sans le vouloir, le prénom de son sauveur passe la barrière de ses lèvres, ce qui déclenche la furie de son père. Il répète inlassablement son prénom, roulé en boule sur le sol, comme une prière, les yeux fermés douloureusement.

Vers deux heures du matin, les coups s'arrêtent enfin. Après une dernière insulte, son géniteur quitte sa chambre en claquant violemment la porte derrière-lui. Gémissant de douleur, l'adolescent se hisse sur son lit. Son corps entier lui est douloureux.

Et sa mère, encore éveillée, qui n'a même pas tenté de l'épargner.

Jimin ferme les yeux, le cœur lourd, pensant à Yoongi, encore et encore, à son sourire et à ses yeux scintillants comme des étoiles.