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Le garçon, avait pris place du côté des ordinateurs. Et moi, j'étais assise à la table, de l'autre côté de l'immense vitre. Du mauvais côté. Depuis un instant déjà, il était en train de pianoter simultanément sur toutes sortes de claviers à différents endroits. Au fur et à mesure, des écrans s'allumaient à droite et à gauche. Je me demandais à quoi tout cela pouvait servir. Je ne comprenais pratiquement rien aux indications vertes qui défilaient sur les écrans.

"Vert, en général c'est bon signe, non ?"

Lorsqu'il sembla enfin avoir fini de s'agiter dans tous les sens, le garçon se leva pour appuyer sur un interrupteur.
Un interrupteur a généralement deux fonctions : allumer et éteindre. Ici, rien ne s'alluma. Et rien ne s'éteignit vraiment. C'était sur l'immense vitre que cela avait eu une conséquence, ou alors sur l'ensemble de choses qu'il y avait derrière –y comprit le garçon. Parce que sous mes grands yeux interloqués, tout ce qui se trouvait derrière cette fameuse vitre, disparu. Je penchais plutôt pour la première proposition. A ma connaissance, on avait pas encore conçu d'appareil pouvant rendre invisible quinze mètres cubes d'une salle en mesurant une trentaine. Et alors que ces trente mètres cubes rendaient l'espace prestigieux, les petits quinze qui étaient restaient apparents le dévalorisèrent instantanément.

— Tu m'entends ?

C'était la voix du garçon. Il ne s'était donc pas volatilisé. J'hochai la tête.

— Très bien. Donc ce que tu devras faire est assez simple. Je vais te poser une question. Tu devras tout bêtement y répondre sur la feuille en face de toi. Compris ?

L'intonation de sa voix était devenu sérieuse. Elle m'enleva toute envie de lui répondre d'une façon insolente comme tout à l'heure. Je compris qu'on était enfin rentré dans le vif du sujet. Le stresse refit son apparition. Mes muscles se raidirent comme si mon corps se préparer à devoir courir soudainement pour éviter un danger mortel. Je pris une grande inspiration pour reprendre mon propre contrôle.

— Oui.

— Énonce les dix premières lois.

Ça, je m'en sentais encore capable. Et heureusement. Depuis notre entrée à l'école nous étions sensé les connaître. Je ne pouvais pas imaginer que quelqu'un rate cette étape. Mais sous les effets de la pression, la moindre petite hésitation pouvait se transformer en énorme doute. Ce qui entraînait encore plus de pression, et donc encore plus de doutes. Je devais éviter à tout prix de rentrer dans ce cercle vicieux. Pour ce faire, ne pas laisser de place aux doutes dès le départ. Je ne devais pas en avoir. On nous répétait sens cesse les lois. Les énoncer était devenu un automatisme.
J'écris.

Loi n°1 :

"Chaque citoyen, adulte ou mineur, quelque soit la Section, doit connaître et être capable de citer au minimum les dix premieres Lois du Système."

Loi n°2 :

"A défaut de pouvoir les citer, chaque citoyen doit connaître et appliquer l'entièreté des 240 lois restantes'"

Loi n°3 :

"Si un citoyen refuse, ignore ou encore diffame une loi, il devra être soumit au jugement du Directoire."

Loi n°4 :

"Seulement deux peines peuvent être exécutées sous l'ordre exclusif du Directoire : L'exclusion ou l'avertissement. Un avertissement ne peut être donné plus d'une fois à un même citoyen."

Loi n°5 :

"Chaque mineur devra avoir appris l'histoire de l'humanité avant d'avoir atteint sa sixième année. Chaque citoyen doit en avoir pleinement conscient afin d'éviter au monde de répéter les mêmes erreurs."

Loi n°6 :

"Il est interdit aux différentes Sections de communiquer entre elles. Une seul exception est envisageable : deux personnes de Sections différentes peuvent entrer en contact oral si et seulement si la Gouvernante émet un avis favorable."

Loi n°7 :

"Chaque famille ayant un membre âgé de seize ou dix-sept ans, doit envoyer son enfant, selon l'année qui lui aura été conseillée, au Directoire. Il répondra ainsi au bilan de ses caractéristiques".

Loi n°8 :

"Toute personne tentée de dévier l'examen d'une manière ou d'une autre, se verra directement exclue".

Loi n°9 :

"Un citoyen est intégré au Classement exclusivement suite à l'examen".

Et enfin la loi n°10 :

"La Gouvernante est la seule personne à détenir du pouvoir envers les autres citoyens. Seul les membres du Directoire sont là pour la conseiller."

Fini.
Je posai mon stylo sur le côté et relisai ma feuille. Techniquement, il n'y avait pas de raison que je me trompe. Mais on est jamais assez prudent, comme les adultes se plaisent à nous le répéter si souvent. Et visiblement, je n'avais rien à changer.

— C'est bon. Signalai-je.

Comme réponse, la vitre devant moi s'éclaircit et le garçon ainsi que les ordinateurs réapparurent.

— C'est bon, j'en ai assez vu, déclara le jeune homme, je vais maintenant te conduire au couloir pour la suite. Laisse la feuille sur la table.
Je lui obéis.

*

Me revoici dans une couloir plongé dans l'obscurité. Celui-ci ressemblait en tout point au premier. Là aussi des portes vierges étaient positionnées à quelques mètres d'intervalle les unes des autres. C'était là que je me rendis compte que, qui disait même couloirs, disais aussi même horribles grésillements de lampes inutiles.

"Rah !" Pestai-je les mains sur les oreilles.
C'était ce moment que choisit une des portes pour s'ouvrir.
Une fille en sorti. Une fille en combinaison blanche. Une candidate. Elle me jetta un petit regard avant d'avancer vers moi. Elle n'était pas plus petite que moi, mais pas beaucoup plus grande non plus. Ses longs cheveux roux descendaient en cascade sur ses épaules et son visage était parsemé de petites tâches de rousseur.

— Salut, dit-elle arrivée à ma hauteur.

— Salut.

— Tu sais où est-ce qu'on doit aller ?

J'hésitai un instant en tournant sur moi même. Apparemment, elle n'avait pas reçu plus d'indications que moi. Je choisis donc une direction par le plus grand des hasards.

— Je pense que c'est là. Dis-je en tendant donc mon doigt vers la gauche, sans réelles convictions.

— Ok, j'te suis.

Three Thousand OneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant