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— Cette organisation a été instaurée pour préserver un équilibre entre chaque individu. Elle permet une cohésion parfaite entre chacun et nous empêche de franchir les limites. Même les individus "déviants" ont maintenant une place sur Terre.

Ma voix tremblait. Je savais qu'il ne fallait pas. Je devais paraître sûre de ce que j'avançais. Personne ne devait avoir de doutes à ce sujet. Je serrais les poings tout en me disant intérieurement des paroles rassurantes. J'imaginais ce que mon frère m'aurait dit.

Ce n'est pas grave. Rien n'est grave. Calme toi.

 — C'est très bien, me félicita-t-elle. Et pourquoi ces limites ne doivent pas être franchises ?

 — Parce que si nous les franchissons, nous repartirions dans une période semblable à l'Erreur. Ce qui engendrerait la fin de l'existence de l'espèce humaine sur notre planète.

 — Pouvez-vous me dire ce qu'il s'est passé durant l'Erreur ?

 — Pardon ?

J'avais répondu du tac au tac : cette question venait à peine de franchir sa bouche que je savais déjà que je n'allais pas pouvoir riposter ce coup-ci. Quelque chose n'allait pas, ne coller pas, déraillait, ou donnez lui expression que vous voulez sauf que tout roulait comme sur des roulettes.

 Il ne reste aucun témoin vivant de cette époque. Et même s'il en existait un, personne ne le saurait. Et ce n'est pas plus mal. Il serait judicieux de la part du Système de nous cacher l'existence d'une personne se souvenant de cette période. Les gens sont prétentieux de nature. Si ils savaient ce qu'était l'Erreur, ils chercheraient inévitablement à savoir comment ils se seraient comporté durant cette période. Normal, réaction humaine de s'imaginer là où on ne l'est pas. Une fois trouvé le comportement idéal à adopter, parce que oui, ils s'imagineraient forcément en temps que personne du Bien – les gens sont prétentieux – ils seraient convaincus de pouvoir supporter l'Erreur, et ils auraient moins peur d'y replonger. Donc accorderaient moins d'importance aux règles. 
Donc personne ne doit savoir.

 — Je crains de ne pas bien saisir votre question, dis-je déconcertée.

 — J'ai pourtant était clair. Que s'est-il passé durant l'Erreur ?

 — Je ne le sais pas, Madame. (Je fis une pause pour prendre une respiration. Tremblante.) Personne ne le sait.

— En es-tu vraiment sûre ?

Son ton perdait de sa convivialité et devenait de plus en plus intimidant.
Je me sentais testée, comme si on attendait de moi le moindre faux pas.

 — J'en suis sûre Madame. Aussi sûre que vous.

À entendre ma réponse, elle afficha un petit sourire et baissa les yeux. 
Elle paraissait enfin satisfaite par ce que je dis, à mon grand soulagement.

 — Bien, j'aimerais maintenant que tu m'écoutes attentivement. 

La Gouvernante attendit que je lui confirme qu'elle aurait ce qu'elle voulait pour continuer. J'hochai donc la tête, alors que ma pression qui venait à l'instant de baisser redoubla d'intensité.

 — Comme tu me l'as très bien expliqué, l'Erreur a été la plus grande crise humanitaire que la planète n'est jamais connue. Aujourd'hui, pour trouver la place de chacun et ainsi éviter un quelconque débordement, chaque citoyen doit être classé. Et seul l'algorithme a le pouvoir de déterminer jusqu'au moindre petit détails, la recette parfaite de vie pour un individu. Je suis contente que tu t'en rendes compte. Pol, tu sors.

Le fils de la Gouvernante soupira et se leva. C'était déjà une angoisse en moins, de ne plus sentir son analyse constante planer sur moi. Mais j'aurai préféré que ça soit l'angoisse nommée Gouvernante qui s'en aille. Cette femme me mettait définitivement mal à l'aise. 

Elle attendit que les portes soit totalement fermées derrière le fameux Pol pour continuer : 

 — Mais que crois-tu qu'il se passerait si l'algorithme faisait une erreur ?

 — C'est impossible, la coupai-je avant qu'elle ne me pousse encore à un de ces raisonnements improbables.

Elle soupira, me faisant comprendre que je commençais l'insupporter.

 — Je ne t'ai pas demandé de me répondre. Je disais donc, que, si une erreur venait à être effectuée, nous n'avons absolument aucune idée des conséquences que cela engendrerait. Et quel meilleur moyen de connaître ces conséquences, que de commettre justement cette erreur ?

— Euh... je ne sais pas.

 — C'est normale ma chère ! S'exclama-t'elle en se levant d'un bond. Parce que C'EST justement le meilleur moyen ! Qu'en pensez-vous ?

 — Effectivement, ça me paraît être une des meilleures solutions. Mais malheureusement nous ne pouvons pas le faire.

Toujours débout, la Gouvernante planta ses yeux un peu trop brutalement dans les miens. Et pour finir de m'achever, elle claqua ses mains contre son bureau, manquant par la même occasion de renverser sa tasse de citron brûlante. Ce qui me fit naturellement sursauter.

 — Et bien disons que nous pourrions faire une exception. Écoutez Louise, je sais que vous êtes habitée des mêmes convictions que moi. Nous ne pouvons pas laisser cette question en suspens jusqu'à ce qu'une catastrophe arrive vraiment. Il nous faudrait trouver une réponse dans les temps qui approchent.

Elle semblait vraiment convaincue de son expérience. Elle voulait donc le tester lors d'un examen à venir.

Wah.

 Mais elle oubliait de prendre en compte un élément indispensable. Elle oubliait le principe même de l'algorithme. Celui-ci devait éviter à n'importe quel citoyen de se retrouver dans une situation qui le ferait déraper. Or, si elle décidai d'expérimenter son idée, elle mettait inévitablement ce principe fondamental de côté. Cet idée me déplaisait vraiment. Je ne comprenais pas pourquoi la Gouvernante était prête à compromettre l'avenir d'un pauvre citoyen pour le mettre dans là où notre Système entier devait éviter de le mettre. Mais restait maintenant à faire comprendre ceci à la personne la plus importante du Système, sans la vexer ni l'irriter.

 — Écoutez, madame. Si nous faisons cela, nous risquons de provoquer une catastrophe. On ne sait pas ce qu'il pourrait se passer...

 — Mais justement ! Elle leva les bras au ciel. C'est ce que nous devons à tout prit découvrir. Et au plus vite !

— Et en quelle année allez vous faire cette expérience ?

 — Trois mille un.

 — COMMENT ?!

Three Thousand OneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant