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— On a perdu sa langue ? Continua le garçon.

S'il voulait vraiment pousser Ethan à déclencher son attaque, alors il avait gagné. C'était illogique. Complètement insensé. S'il y avait bien un jour dans une vie où il fallait se tenir à carreaux, c'était bien aujourd'hui. Mais visiblement personne ici ne pensait que c'était nécessaire.
Je sentis le souffle déjà court d'Ethan presque s'arrêter. Son buste pivota vers l'arrière pour aller chercher de l'élan et enfin, le poing parti pour de bon.
Je reculai d'un pas en arrière et plaçai les mains devant les yeux par réflexe. Bon sang, mais comment avions nous fait pour nous engouffrer là-dedans ?

Je le revoyais quelques années plus tôt, franchissant là aussi une des lois les plus importantes. Je revoyais tout le monde accourir aux cris de l'autre garçon. Je revoyais le visage d'Ethan rempli de culpabilité lorsque le Système avait déclaré sa sentence.
Pourtant, je ne me souviens pas avoir perçu la moindre once de regret dans son regard. Et nous revoilà, près de dix ans plus tard, revivent la même scène qui marqua notre enfance.

À défaut de pouvoir le voir, je m'attendais tout de même à pouvoir entendre le fameux moment où le poing de mon frère percuterait le visage du garçon. Mais je n'entendis rien. Enfin si, à la place, j'entendis une voix masculine qui n'avait pas sa place dans ce qui était censé se dérouler :

— C'est bon Igor, on est pas venu pour ça.

Je ne sais pas si c'était vraiment par curiosité ou par peur d'être devenue folle mais cette phrase me servit de déclic pour me faire ouvrir les yeux.

À ma grande surprise, le choc auquel je m'attendais tant n'avais jamais eu lieu.
Je découvris à la place un inconnu –qui devait détenir cette fameuse voix– soulèvent mon agresseur par le col. Ce dernier serrait les dents mais contrairement à ce qu'on aurait pû croire, il ne tentait rien pour se dégager. À un moment, je cru voir la cicatrice de ses lèvres bouger, mais le nouveau garçon qui le tenait par le col l'avait toisé d'un simple regard. Quant à mon frère, son poing avait vraisemblablement été dévié par la main libre de cette même personne.
Ils étaient là, tous les trois, aussi immobils que le reste de jeunes déroutés par ce retournement de situation. Cette scène nous avait tous scotchés.
Je pense que pour un spectateur, nos yeux aussi ouverts que nos bouches ahuris par ce rebondissement devaient vraiment être comique. Mais en ce qui me concerne, rire était la dernière chose que j'avais envie de faire.

— Aller Igor, on y va. Déclara calmement le "sauveur" de mon frère, sûrement lassé par tous ces regards tournés vers lui.

Sur ces mots, il lâcha le col du prénommé Igor, qui rebondit sur le sol. Il passa une mains dans sa mèche brune puis nous tourna le dos pour partir en direction de la porte qui correspondait à la troisième Section. Il marcha avec une impressionnante sûreté à travers la foule qui le dévisageait, complètement absorbés par la scène comme on peut l'être devant un film.

Je sursautai en entendant l'alarme retentir à nouveau. Mais à la place d'une annonce comme la première fois, un écran dont je n'avais pas remarqué la présence s'alluma au centre du bâtiment et un minuteur se mis en marche. Il commença au nombre 70.

Malgré le manque de consignes de leur part, tout le monde savait ce que le Directoire attendait de nous. En moins de trente secondes, pratiquement tout le monde avait déjà retrouvé sa place. Dix secondes plus tard, je me retrouvai moi aussi dans la file de la deuxième Section avec Ethan pendant qu'on observait les retardataires courir pour arriver à temps.

Igor, s'était résigné lui aussi mais non sans arrogance à aller se ranger.
Ethan le fusillait du regard. Si ses yeux étaient devenus des armes, le garçon serait en ce moment même en train de baigner dans un bain de sang. Mais ce dernier ne parut pas du tout impressionné par cet intimidation. Il lui tourna le dos en haussant les épaules. Je donnai un coup de coude à mon frère pour lui faire comprendre de changer d'attitude. Je trouvais sa réaction normale, mais j'estimais qu'on s'était déjà fait assez remarquer pour aujourd'hui.

À la fin du minuteur, tout le monde était rangé devant la bonne porte. Même la troisième Section s'était totalement plier. Pas une personne ne dépassée, n'était décalée par rapport à celle de devant. Une organisation parfaite, au centimètre près.
Quand le Zéro s'afficha, un gong retentit. Les portes s'ouvrirent.
Un garde de jour sortit alors de chaque porte, une arme à la main.
Les trois gardes se postèrent ensuite sur la droite de leur entrée respective et firent signe au premier de chaque rangée d'entrer. Quand le second de notre Section voulu suivre, le garde plaça son arme en barrage et pointa l'écran du doigt. Le minuteur s'était remis en route. Mais cette fois-ci, le temps était plus court. Il commença au nombre 15. Et quinze secondes plus tard, le garde défit son barrage et le second disparut à son tour à l'intérieur.
Et ainsi de suite.

Three Thousand OneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant