Poney d'une vie

8. Liberté

Hier Lixir et moi avons bossé les serpentines au galop. C'est de mieux en mieux ! Son galop à faux commence à récupérer sa qualité passée. C'est une libération de nous sentir reprendre nos marques. Je me sens redevenir moi même.

Mais aujourd'hui je me sens vraiment mal, je ne sais pas vraiment pourquoi mais je me sens encore plus seule que d'habitude. Mes parents me manquent. Ma tante m'énerve à me regarder avec pitié et à me traiter comme une handicapée infirme dépressive ! Tout le monde me hait et parle sur moi, Raphael ne m'a toujours pas adresser la parole et Lilou est a fond sur son Baptiste. Elle ne fait que parler de lui et ne pense qu'à lui. Elle le voit aujourd'hui d'ailleurs.

Vraiment, il n'y a qu'un point positif à ma vie : mes poneys. La propriétaire me confie Phoenix pour les concours, notre premier objectif de travail est de le décontracter et de le garder calme une séance entière. Avec Élixir, je m'éclate tout simplement, on progresse mais on fait plein de choses différentes aussi. D'ailleurs, aujourd'hui je vais l'initier à la monte en cordelette. Pour Phoenix ça sera trotting toujours dans cette optique de décontraction.
J'espère juste ne pas croiser Raphael, je suis complètement perdue sentimentalement parlant et il fou le bordel dans ma tête constamment quand il est devant moi.
J'ai vraiment besoin de mes poneys pour oublier, ou de me bourrer la gueule avec ma meilleure amie, ou les deux. Mais elle n'est pas là... Elle m'a dit qu'elle viendrait aux écuries cette après-midi après son petit rendez-vous mais je ne suis pas sûre qu'elle tienne parole. Mais qui suis-je pour critiquer ? J'ai abandonné tout le monde et je n'ai donner aucune nouvelle pendant 6 mois.

Je met mes écouteurs. J'ai besoin de musique. Je ne les enlèverai même pas à poney je pense. Comme ça même si on me parle je n'entendrais rien. Tant mieux.

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Après un pansage complet et quelques massages, j'enfile ma bombe et met un licol éthologique à Élixir. J'ajoute une cordelette autour de son encolure. J'emmène mon poney dans la grande carrière. Je prend le montoir et saute sur son dos.
Je soupire. D'aise ? De bonheur ? Certainement. Rien n'est comparable à la sensation de monter sur le poney de ta vie. Celui qui est le seul capable de t'apporter le sourire dans les pires moments. Celui qui est toujours là pour toi malgré tes erreurs. Celui qui ne te juge jamais. Celui que tu aimes plus que tout au monde.

Quelques larmes roulent sur mes joues. Je monte le son de ma musique et commence a trotter puis galoper en me servant surtout de mon poids du corps et de mon regard. Je fais beaucoup de transitions. Élixir est à l'écoute.

J'ai l'impression que nous sommes seuls, tous les deux, au milieu de l'apocalypse. Peut être est-ce la musique qui m'inspire ça. Ou peut-être que j'ai l'impression de vivre l'enfer. Je me plains trop. Beaucoup trop. Énormément de personnes n'ont plus la chance de pouvoir se plaindre, mes parents en font partie. Ils étaient pourtant beaucoup plus louables que moi. Peut-être que j'aurais dû être à leur place. Peut-être que c'est moi qui aurait dû partir.

J'installe mon poney sur un grand cercle au galop, la musique a fond, je lâche la longe et ferme les yeux. Les larmes coulent encore sur mes joues. Je le laisse me porter, moi et ma peine. Il fait s'envoler ma souffrance et me libère du poids sur mes épaules. Élixir porte vraiment bien son nom. Il est mon élixir. Mon élixir contre la douleur. Mon élixir d'amour. Mon élixir de vie. Mon élixir de liberté.

Je ne le travaille pas vraiment. Je le laisse me faire du bien. Il me permet de souffler, de m'évader. Je ne lui serais jamais assez reconnaissante pour ça. Mon poney, tu es tout ce qui compte pour moi maintenant que j'ai tout perdu. Je n'oserai imaginer ma souffrance si tu partais, si tu me laissais toi aussi. Ne me laisse pas. Jamais. Ne m'abandonne pas. Jamais.

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Quand je me retrouve sur Phoenix pour notre trotting, c'est une autre histoire. Ce n'est plus lui qui me détend, c'est à moi de le calmer. Je prends sur moi pour vider toutes mes émotions. Avec Élixir, je monte avec mon cœur. Avec Phoenix, je monte avec ma tête et ma technique. C'est pour ça que notre duo ne fonctionnera jamais comme celui de Lixir et moi. On sera techniquement infaillibles, mais il n'y aura jamais ce feu qui nous animera, cette étincelle, celle qui fait la différence. 

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"Oh la la Typhaine je dois te raconter mon dimanche de folie ! "

J'aurais bien aussi quelque chose à te raconter ... Mais je ne le ferai pas ne t'inquiètes pas.

"C'était incroyable ! Avec Baptiste on s'est retrouvés sur un concours. On a passé l'après-midi dans les tribunes à regarder des CSO amateur. Enfin je ne regardais pas trop, je buvais ses paroles. A un moment, il m'a emmenée derrière les tribunes, on était cachés, juste tous les deux, et là on s'est embrassés !!

- J'en étais sûre ! "

Je souris, elle mérite d'être heureuse. Elle se débrouille mieux que moi dans ce domaine et tant mieux pour elle !

"C'était magique ! Doux et gêné au début, intense et confiant à la fin. J'ai l'impression que j'aurais pu passer ma vie collée à ses lèvres. Quand on a dû se séparer pour rentrer chez nous, il m'a embrassé une deuxième fois.

- Vous êtes ensembles alors ?"

Elle soupire et son regard s'assombrit.

"J'en sais rien, mais j'ai besoin de savoir !

- Je pense qu'il ne sait juste pas si il est prêt à se poser, laisse lui le temps, vous en avez !

- On a jamais le temps ! Tout peut s'arrêter en un instant."

Elle a raison. Tout peut s'arrêter d'un coup. Je pense que mes parents ne se doutaient pas que ce trajet en voiture serait le dernier de leur vie. Ils ne se doutaient pas que c'était la dernière chose qu'ils feraient dans leur vie. Et c'était pour moi, encore... Ils sont morts pour moi... Par ma faute...
Alors je pense que c'est mieux de tout faire vite et de profiter que de prendre son temps et de regretter. Peut être que ce qui est rapide mène parfois à des erreurs, mais je ne regretterais jamais d'avoir profiter, chaque expérience, même la pire, t'apporte une expérience.

Je m'éloigne d'elle avec un sourire avant d'aller m'occuper de Phoenix. Raphael est dans le box en face le mien avec Primavera. Je lui jettes des regards discrètement. Il est en train de lui enrouler des bandes de polo autour de ses tendons. Son visage semble concentré. Ça lui va bien. Tout lui va bien. Je sens un sourire se former sur mon visage quand je le regarde. Mais je ne m'arrête pas pour autant. Le seul qui peut me voir c'est Phoenix et je sais qu'il ne me trahira jamais.

Enfin, c'est ce que je croyais avant que le regard de Raphael croise le mien. Ses yeux sont rieurs, il a compris. C'est lui que je regardais le sourire aux lèvres. Je détourne subitement le regard et continue de préparer Phoenix.

Une fois le poney alezan sellé et ma bombe enfilée, je me mets en selle. L'entier s'agite.
"Oh oh, doucement mon beau."
Il se détend au son de ma voix. Je le caresse fort. Tous les deux on commence à se connaître. Je sais jusqu'où je peux aller dans mes ordres, il sait jusqu'où il peut aller pour me montrer son désaccord. Quelques petits excès parfois certes, mais rien de méchant. Ce poney m'apprend la délicatesse et le tact. Je dois aussi contrôler mes émotions, il utilise ma colère pour animer la sienne, ma peur pour m'effrayer encore plus et mon bonheur pour y contribuer.

Notre séance se déroule dans le calme et l'apaisement. Je fais beaucoup de déplacements latéraux. Je commence par des hanches en dedans qu'il réalise sans problème. Pendant mes cessions à la jambe il part un peu trop avec ses épaules, mais j'ai juste a tendre ma rêne pour le récupérer. S'il y a bien quelque chose qui m'aura fait plaisir aujourd'hui, ce sont les épaules en dedans, il maîtrise ça du feu de dieu, le contact est agréable et léger, il se déplace en utilisant son arrière main et ne baisse pas le rythme dans l'exercice.
Au galop je le travaille sur sa décontraction. J'arrive sur un poney tendu, qui se tient et s'incurve sur ma jambe, tout en ayant l'impression de ne rien avoir dans chaque main. Un vrai régal.

Je viens de terminer de ranger mes affaires après un bon pansage et une séance broutage quand Aurélien m'appelle dans son bureau. Il y a aussi Raphael et d'autres cavaliers de dressage qui sortent en poney 3 et 2. Il est en train d'engager tout le monde pour dimanche.
Une fois les cavaliers partis, il ne reste que Raphael et moi.
"Bien donc, vous deux je vous engage en quoi ? Raphael as 1 avec Primavera ?"
Il hoche la tête.
"Et donc toi Typhaine, les deux poneys en As 1  ?
- Ca me va ! "
Je sens Raphael sourire.
"On va enfin savoir lequel de nous deux est vraiment le meilleur !
- On sait tous les deux qui est la meilleure !"

Aurélien rigole et je fais un clin d'œil a Raphael avant de retourner aux écuries pour sortir Lixir. On doit bosser, on a des épreuves a gagner, une carrière à construire, et des choses à prouver !