Jour 33

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Quelques jours plus tard, à la table du dîner, je ne m'attendais à rien de spécial. En général, nous échangeons surtout des banalités. Les sujets sérieux, nous les évoquons autour d'un café, dans le salon. Et quand je parle de sujet sérieux, c'est que la conversation tourne autour de mon orientation scolaire, du permis ou de mon prochain job d'été. Mes parents veulent que j'apprenne à conduire et que je commence à bosser le plus rapidement possible. Donc, cette soirée ne devait rien avoir de particulier.

— Mathieu, nous devons aborder un sujet délicat.

Aïe, quand mon père parle d'un ton solennel et que ma mère baisse les yeux, c'est vraiment sérieux. Mon cerveau s'est mis à carburer, à analyser toutes les possibilités de thèmes pour cette conversation. Mais rien. Pas de mauvaises notes à l'école. Je ne pense pas qu'ils aient senti l'odeur des joints après la petite fête. Et puis même, je suis certain qu'ils savent encore très bien que dans une soirée d'adolescents on ne se contente pas de boire du jus de fruit en parlant de la paix dans le monde.

— Est-ce que tu as déjà eu des relations sexuelles ?

Dans la bouche de mon père, c'était presque un gros mot.

— Oui.

Ma mère a fait semblant de défaillir. Quelle bonne comédienne ! Je ne veux pas savoir la date exacte pour elle, mais je suis sûr qu'elle n'a pas attendu son mariage. D'ailleurs, elle n'est pas vraiment tombée dans les pommes, c'était juste une posture qu'elle avait répétée.

— Tu te protèges ?

— À chaque fois.

Oups, c'est vrai que pour ma première fois, la vraie, Steven n'a rien mis. Il faudra que je lui en parle.

— Bien.

Voilà, fin de la conversation. Rien de plus. L'information principale qu'ils voulaient c'était être certains que je ne mettrais pas une fille enceinte. Avec ou sans protection, ça ne risque pas de se produire. Ils ne sauront pas tout de suite qu'ils n'ont pas posé les bonnes questions.


Un peu anxieux quand même, je suis arrivé au stade. Cyril attendait à l'extérieur. Il a simplement souri, pour signifier sa satisfaction. J'étais venu. Je n'avais pas eu peur. Il était content. Nous nous sommes changés, échauffés, battus sur le ring puis retrouvés dans les vestiaires, sous la douche.

— Je n'aime pas trop ce que j'ai vu aujourd'hui.

— Quoi ?

— Tu fais de la musculation, de la natation, tu deviens plus fort que moi.

— Je ne crois pas, non.

— Il va falloir que je fasse des efforts de mon côté pour qu'on reste à égalité.

Il a marché avec moi jusqu'à mon immeuble.

— Merci, mec.

— De quoi ?

— Simplement d'être venu. J'avais un doute, j'avoue. Ce n'est pas toujours facile, tu sais. Les potes du lycée n'en sont pas vraiment, ils se méfient de moi et peut-être qu'ils ont raison. Ils m'acceptent parce que je suis leur fournisseur et qu'ils ont peur de moi. Mes potes à l'extérieur, ils ne pensent qu'à dealer, ce ne sont pas de vrais amis non plus, ce sont des membres du gang.

— Tu n'as pas de véritable ami ?

— Punaise, ça fait mal comme question.

— Désolé.

— Surtout parce que c'est toi qui la poses. T'es sympa, on s'entend bien. Mais bon, t'as pas l'air de me considérer comme un pote.

Waouh, je ne savais pas du tout gérer cette situation. Là, j'aurais bien aimé avoir le cerveau d'une fille, parce qu'elles savent comment faire face à ce genre de cas. Cyril parlait doucement, en fixant le sol. Il se forçait à avoir cette discussion, mais ce n'était pas le genre de mec à se livrer.

— T'es aussi bon en boxe que devant une console ?

— Courses de voitures ?

— Non, je joue à Hello Kitty !

J'ai réussi à lui décrocher un sourire sincère.

— Je vais t'écraser.

— Je veux voir ça !


Nous avons joué pendant deux heures. Il fallait que je coupe court, je devais finir un devoir de physique avant de me coucher. Je n'avais pas envie, puisque cet exercice résistait à mon intelligence !

— Toi t'as tout fini ?

— Ouais, je te montre si tu veux.

Il m'a expliqué le problème de façon si claire que je me suis senti bien nul de ne pas avoir trouvé la solution moi-même.

— Je suis impressionné.

— Je sais. Tu penses qu'à cause de mes activités je suis nul en classe et que je vais de toute façon finir en prison. Ne réponds pas, je déteste qu'on me mente. Bah non, je suis le premier de la classe depuis longtemps.

— Je croyais que c'était Jé...

— Tu peux dire son prénom, tu sais. C'est ce qu'il fait croire et je le laisse faire le paon, dire à tout le monde qu'il est le meilleur. Il a de très bonnes notes, mais lui et moi savons à quoi nous en tenir.

— Je peux t'appeler si j'ai un souci avec mes devoirs ?

— T'as pas mon numéro.

— C'était une façon de le demander...

Nous avons échangé nos numéros de portable.

— Tu le gardes pour toi, d'accord ? Je viens de te filer mon 06 personnel, j'en ai un autre pour mes activités !

Quelle soirée étrange, pleine de petites surprises sur une personne que finalement je ne connaissais pas du tout. C'est incroyable la vitesse à laquelle les choses peuvent changer. En quelques jours, Cyril est passé du mec avec qui je fais de la boxe, à un homophobe extrémiste, puis je l'ai considéré comme un dealeur et maintenant c'est mon pote. Heureusement que j'ai ce journal pour vider mon cerveau, sinon il exploserait.


Le journal de Mathieu (4)Where stories live. Discover now