Le chantier

20

Agathe regarde par la fenêtre du bus le paysage urbain défiler. Elle jette un coup d'œil à sa montre. Il est 13h39. Sa mère lui a envoyé quelques messages inquiets, car elle a l'habitude de rentrer plus tôt quand elle dort chez Awa, mais elle l'a rassurée, c'est l'essentiel. Son téléphone lui fait toujours vivre l'impossible, elle a eu un mal fou à répondre. Il faut vraiment qu'elle pense à convaincre ses parents de lui en acheter un nouveau.

Le bus s'arrête pour la première fois depuis l'arrêt à côté de chez Adam, et la femme assise aux côtés d'Agathe se lève pour descendre. Léonard se détache de la rampe qu'il tenait et vient s'asseoir à côté d'elle.

Un silence gênant s'installe, jusqu'à ce que Léonard déclare :

" T'as été incroyable, hier."

Agathe détourne les yeux de la fenêtre et les plante dans ceux de Léonard. Elle ne s'attendait pas à ces paroles.

" Toi aussi, répond-t-elle maladroitement."

Il lui sourit.

" J'ai déjà chanté avec beaucoup de gens. Des meufs, des gars, des potes, ou même des gens que j'aime pas pendant des chorales ou des cours de musique. Et pourtant, c'est la première fois que je me suis senti aussi... J'ai même pas de mots pour l'expliquer. J'avais l'impression de... Je sais pas, de voler, un peu... D'être dans un autre monde. "

Agathe se sent rougir et maudit intérieurement sa timidité pathologique.

" Je suis contente que t'aies ressenti la même chose que moi."

Léonard lui sourit tandis que le bus s'arrête une nouvelle fois.

" C'est mon arrêt, dit-t-il en se levant. Salut !

- À plus ! répond Agathe."

Léonard sort du bus, et tandis que les portes se referment, il marque une hésitation, appuie sur le bouton d'ouverture, rentre à nouveau dans le bus, et déclare :

" À moins !"

Léonard ressort et le bus redémarre. Sur tout le reste du trajet, Agathe tente vainement d'arrêter de sourire en repensant à la blague du garçon, qui est pourtant plutôt nulle.

Mais son sourire niais s'écroule brutalement quand elle parvient tant bien que mal à allumer son téléphone usé. Camille l'a appelée, et lui a laissé un message vocal.

« Salut Agathe... C'est compliqué et un peu douloureux pour moi de... De revenir aussi vite vers toi, après ce qu'il s'est passé hier... Mais je pense qu'on doit parler, c'est... C'est important. Face à face. Viens au café La Bohème, à côté de chez moi, à 17h30, ok ? Viens, s'il-te-plaît, me pose pas de lapin. C'est vraiment important que je t'explique. J'aurais dû le faire bien plus tôt. »