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C'est le premier baiser d'Agathe. Son cœur, qui a déjà rempli son être de milliers de sentiments pendant la chanson, déborde cette fois d'amour. C'est beau, c'est magique, c'est magnifique.

Une véritable vague de douceur déferle sur son âme.

Quand leurs lèvres se décrochent l'une de l'autre, Agathe sent la trace que cette courte éternité perdue au milieu du tic-tac incessant du temps a laissé sur son cœur et son corps. C'est la première fois qu'elle éprouve une chaleur aussi particulière. Ce feu de cheminée niché au creux de ses entrailles, Agathe sait que même la plus glaçante des pluies ne pourra l'éteindre.

Quand leurs fronts se détachent et que leurs regards se croisent enfin, ça n'est plus un feu qu'Agathe ressent, mais un véritable incendie. Un incendie d'une tendresse incroyable.

Les yeux noisette de Léonard fixent Agathe, comme si elle était un véritable joyau.

Et, à nouveau, plus rapidement, cette fois, leurs lèvres se scellent et démarrent une nouvelle éternité, coincée dans un monde où le temps file comme la lumière.

Ils finissent par rentrer dans le chantier. Agathe s'assoit au sommet du toboggan, Léonard sur la balançoire.

" Qu'est-ce que tu veux chanter ?"

Les mots de Léonard sonnent comme le frémissement d'un ruisseau aux oreilles d'Agathe. 

" Mistral Gagnant."

Ses lèvres ont parlé pour elle, traduisant en un titre de chanson l'accumulation de ses sentiments.

" Laisse-moi cinq minutes."

Léonard sort son téléphone, et doit probablement chercher la partition de guitare ou quelque chose dans le genre, car quand il se retourne vers elle, il déclare :

" C'est bon, je la connais à peu près."

Et, sans un mot de plus, Léonard commence à jouer.

À m'asseoir sur un banc cinq minutes avec toi
Et regarder les gens tant qu'y en a
Te parler du bon temps qu'est mort ou qui r'viendra
En serrant dans ma main tes p'tits doigts
Pi donner à bouffer à des pigeons idiots
Leur filer des coups d'pied pour de faux 

Les notes jouées par Léonard et les paroles chantées par Agathe s'allient d'une manière incroyable. Une fois de plus, Agathe n'est plus là, et Léonard non plus. Ils sont sur une étoile lointaine, une étoile filante sur laquelle seuls Agathe et Léonard peuvent s'installer, une étoile filante invisible par les autres et inconnue des scientifiques. Quel dommage, c'est pourtant une si belle étoile !

Et entendre ton rire qui lézarde les murs
Qui sait surtout guérir mes blessures
Te raconter un peu comment j'étais mino
Les bonbecs fabuleux qu'on piquait chez l'marchand

Car-en-sac et Minto, caramel à un franc
Et les mistrals gagnants

Des perles de pluies dévalent les joues d'Agathe. Ou ce sont peut-être des larmes. Des larmes d'éblouissement. Depuis le début de la chanson, Agathe regarde Léonard, mais ce n'est que maintenant qu'elle remarque que les mêmes coulent le long de ses joues.

A marcher sous la pluie cinq minutes avec toi

Et regarder la vie tant qu'y en a
Te raconter la terre en te bouffant des yeux
Te parler de ta mère un p'tit peu
Et sauter dans les flaques pour la faire râler
Bousiller nos godasses et s'marrer
Et entendre ton rire comme on entend la mer 

S'arrêter, repartir en arrière
Te raconter surtout les carambars d'antan et les...

Agathe ne se souvient plus de la suite. Léonard continue à jouer, et à la place, Agathe fredonne des "la la la". Elle ne veut pas que l'étoile sur laquelle ils volent s'écrase, simplement à cause d'un trou de mémoire. Pas tout de suite.

Soudain, la fin de la chanson lui revient.

Et entendre ton rire s'envoler aussi haut
Que s'envolent les cris des oiseaux
Te raconter enfin qu'il faut aimer la vie et l'aimer même si
Le temps est assassin et emporte avec lui
Les rires des enfants et les mistral gagnants

Et les mistral gagnants

Le regard qu'ils échangent est si fort qu'ils n'ont pas besoin d'échanger un seul mot pour comprendre qu'ils veulent s'embrasser une nouvelle fois.

Agathe descend du toboggan, Léonard se lève et pose sa guitare. 

Pour la troisième fois, leurs lèvres se touchent et leurs salives se mélangent.

Et pour la troisième fois, un feu d'artifice explose dans le cœur d'Agathe.

Le chantierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant