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Awa est lesbienne. Awa est lesbienne. Awa est lesbienne. Ces mots se répètent dans la tête d'Agathe comme un vieux disque rayé. Comment a-t-elle pu passer à côté de quelque chose d'aussi gros, d'aussi flagrant ? Comment ?

Agathe est toujours pétrifiée sur le banc de l'arrêt et elle voit le bus, ses passagers et Awa disparaître au coin de la rue.

Maintenant, des choses reviennent à l'esprit d'Agathe. Des choses qui auraient pu mettre en lumière l'homosexualité de sa meilleure amie.

Sa façon gênée de sourire quand Camille lui fait un compliment, et ses joues se rosant légèrement.

Le fait qu'elle soit la seule à ne rien dire quand ses amies parlent de garçons.

Sa défense vigoureuse pour les homosexuels quand elle entend des commentaires homophobes, comme elle ne défend aucune autre cause.

Oui, Awa est définitivement lesbienne. Ça n'est pas une blague. Awa est lesbienne, et c'est seulement maintenant qu'Agathe le remarque. Comment a-t-elle pu rater ça ? Comment a-t-elle pu être aussi peu attentive ?

Agathe s'en veut terriblement. Elle n'a pas envie d'aller au lycée, elle n'a pas envie d'affronter Awa. Mais elle a été tellement peu présente dans les troubles de son amie, tellement peu perspicace, qu'elle ne peut pas se permettre d'être absente une nouvelle fois. Elle ne peut pas encore fuir Awa quand elle a besoin d'elle. Car oui, Agathe ne s'en rend compte seulement maintenant, mais Awa est percée jusques au fond du cœur.

Camille portait un masque, du moins avant la soirée, Agathe l'a toujours su. Mais elle n'aurait jamais soupçonnée qu'Awa était aussi une comédienne. Que, derrière son sourire éclatant, se cachait une immensité de tristesse. Parce qu'elle est différente. Parce que Camille est hétéro et qu'elle l'aime. Parce que ses parents ne le savent probablement pas, et qu'elle risque de briser sa famille, simplement en voulant être elle-même.

Awa va mal. Et Agathe a l'impression que le monde vient de tomber sur ses épaules en apprenant ça, en apprenant qu'elle n'est même pas capable de reconnaître un masque de façade à un visage. En apprenant qu'elle n'est pas une meilleure amie à la hauteur.

Agathe va changer. Oui, Agathe va changer, coûte que coûte. Agathe saura reconnaître quelqu'un d'heureux à quelqu'un de triste, désormais. Agathe saura être une amie digne de ce nom. Elle se le promet.

Et ses pensées explosant dans sa tête comme un mélancolique feu d'artifice, elle attend le prochain bus. Oui, elle n'a aucune envie d'aller au lycée, de se faire engueuler par son prof de physique-chimie à cause de son retard, d'être encore plus accablée qu'elle ne l'est déjà par les innombrables reproches tout à fait légitimes d'Awa et par la tristesse titanesque de son amie qu'Agathe a enfin remarqué.

Mais Agathe prend sur elle, parce qu'elle ne veut plus reproduire les mêmes erreurs que par le passé.

Le chantierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant