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L'herbe était bleue, ça je m'en souvenais. Le ciel l'était aussi. Tout était mélangé, d'ailleurs. On ne savait jamais si on regardait le sol ou le ciel. Les arbres nous permettaient de le distinguer. Le vert se detachait merveilleusement bien sur le sol. C'est la que je suis arrivée ce jour là. Le temple était gris anthracite et trônait au milieu de cette herbe bleue taillée habilement grâce à des petites allées de gravier.

"Tu es donc venue", m'avait on dit. "C'est donc réellement elle. Appelle le cadet Ostanar", avait-elle dit à une jeune fille. "Et au fait", dit elle tandis que la petite interrompait son mouvement. "Cherche Alzanor et dit lui que Seldir l'orphelin est bien qui nous pensions".
Elle se tourne vers moi.
"Tu te pose sûrement des tas de questions", lança-t-elle. "Mais tu vas le rencontrer. Bientôt tu le suivra même si la nuit opprime tes yeux et ton âme."

J'en ai profité pour regarder autour de moi. Des enfants jouaient dans l'herbe, mais pas à des jeux que je connaissais. Certains jouaient avec de l'herbe, d'autres avec des meubles. Ils avaient tous le même regard, le même que le mien. Ils étaient comme éveillés. Ils ne semblaient pas se préoccuper de ce qui se passait autour d'eux.

La jeune fille revint avec un garçon paraissant physiquement plus âgé, bien que je ne puisse pas le confirmer. Il était extrêmement beau. Ses longs cheveux noirs lui tombaient sur les épaules comme des vagues, ses yeux fins étaient de la même couleur que la mer, et son nez était parfaitement découpé, à la fois long et fin. Il était impossible de le regarder dans les yeux, ses pupilles étaient si fines qu'on aurait dit qu'il pouvait lire au plus profond de vos pensées. Il portait une chemise rouge brodée d'or, dans laquelle il avait nonchalamment glissée une de ses mains, mais ça ne lui donnait pas une allure décontractée, il restait droit et froid. De plus, il était grand. Il devait faire dans les un mètre quatre-vingt.

La femme nous présenta l'un à l'autre.
"Voici Hylios Ostanar, Absolu de Liéssance et  Télépathe de prédilection.", me dit-elle. Elle se tourna ensuite vers lui.
"Et voici... Qui tu sais. Donc Absolue de Liéssance, Premier Pont, Sœur des creatures du ciel, et Humaine de Terre"
A l'entente de ce dernier point, il fronça du nez. Humaine de Terre. Il resta longtemps sans rien dire, si bien que je crus qu'il était muet. Mais il me tendit la main, et me dit :
"Bienvenue en Edenilde. Si tu veux bien, je vais d'abord t'expliquer tous tes surnoms, et tu auras déjà une meilleure idée de la personne que tu es ici."
Sa voix traduisait un profond dégoût.

Nous sommes entrés dans le temple gris. À l'intérieur il y avait un feu qui semblait ne jamais s'éteindre, et, autour de l'âtre, une ribambelle de sièges. Le plafond faisait d'étranges bruits. "Ale fait chanter le plafond. C'est plus convivial selon elle."
Je me suis surprise à être un peu jalouse de cette fille, Ale.
" Il faudra aussi que je t'apprenne à ne pas penser. C'est risqué ici, de penser. Beaucoup de gens sont télépathes."
Je me suis sentie bête d'avoir pensé à Ale. Il s'est approché de l'âtre et s'est assis sur un siège. Je m'apprêtais à faire de même sur un à deux places de lui, mais avant que je puisse m'asseoir, il m'indiqua celui à côté de lui. Je m'y suis alors dirigée, puis je me suis assise. Il a alors fermé les yeux, posé ses deux index sur sa tempe droite, et un cercle s'est dessiné sur le sol autour de nos deux sièges. Autour, le monde avait disparu.

"Tu aimerais savoir qui tu es vraiment.
Tu entend la nuit le bruit des cris et de l'acier, et il résonne comme une musique douce à tes oreilles.
Mais tu veux devenir quelqu'un de bien.
Tu le souhaite de tout ton cœur.
Mais il est tard pour penser à cela. Alors tu t'endors, et tu oublies.
La musique endort.
Peu importe laquelle."

Hylios, le garçon, me regardait. Ses coudes étaient posés sur les accoudoirs de ses fauteuils. Le plafond ne chantait plus. Il n'était même plus là.
"Où sommes nous ?"
Il regarda autour de nous comme si pour lui rien n'avait changé.
"Dans une bulle. Ça protège des mouvements extérieurs. Les autres peuvent nous voir mais pas nous entendre ni nous toucher. Pour nous, c'est pareil, sauf qu'en plus de ça nous ne pouvons pas les voir. Mais ce n'est pas pour cela que nous sommes ici."
J'acquiesçai, désireuse de connaître la suite.
"Alors pourquoi je suis ici ?"
Il sourit. Mais pas d'un sourire franc. Il souriait car il voulait se montrer agréable, sûrement parce qu'il n'avait pas trop le choix. J'avais appris à lire sur le visage des gens. Je me débrouillais pas trop mal, mais ici, personne ne laissait paraître ses émotions, tout était comme scellé à l'intérieur de leur tête.
"Je vais être rapide et direct. Tu es ici au temple Absolu, en Edenilde. L'Edenilde est le monde dans lequel tu te trouves. Nous, les Absolus, contrôlons une forme particulière de magie, assez mal vue des autres. Nous vivons donc reclus dans cet endroit."
Je l'écoutais attentivement.
"Je suis Absolu et tu l'es aussi. Mais toi, tu n'es pas n'importe qui. Tu es plein de personnes à la fois. Ça en donne le tournis."
Je souris timidement.
"Tu es la seule Absolue de Terre, et tu es le Premier Pont, c'est-à-dire la personne qui relie la Terre à l'Edenilde. Et tu es, comme moi, l'Absolue de Liéssance."
C'est là que j'ai lâché. Ça me paraissait normal, je ne savais pas ce que signifiait ces termes.
"C'est assez compliqué à expliquer, mais... Oui, c'est ça. C'est le lien qui nous unit. En fait, ici, chez les Absolus, il y a une tradition. A l'anniversaire de leur cinquante lunes vertes, les Absolus, sont "liés", grâce à un puissant philtre qu'ils ingèrent et qui les lie d'un amour indéfectible jusqu'à leur mort. C'est une façon jusque-là de canaliser leurs pouvoirs s'ils deviennent trop fort et indomptables. Si rien n'est mis en œuvre pour que ce soit évité, on peut avoir de mauvaises surprises. Et... Une prophétie ancienne, stipulerait que deux enfants, deux Absolus naitraient en étant... Naturellement liés. De naissance. D'où vient le terme "de Liéssance"."

Il soupira et croisa les jambes. Ça voulait dire que nous étions naturellement liés d'amour depuis notre naissance. Ça me paraissait fou et inconcevable. En plus, cette personne, Hylios, me considérait avec tellement de dédain que j'avais peine à croire qu'il ait un jour envisagé de m'aimer. Il continuait de me regarder. Ça me mettait extrêmement mal à l'aise.
"J'ai deux questions," dis-je. "Déjà, quelles sont les créatures du ciel ?"
Il se remit correctement dans son siège de manière à ce que son dos soit bien incrusté dans le dossier et joignit les mains.
"Les dragons."
Rien d'autre ? C'était tellement direct comme réponse. Il aurait pu me fournir d'autres explications, mais d'un autre côté, il m'avait prévenu qu'il allait aller vite. Et puis peut-être qu'il n'en avait pas, d'explications, tout simplement.
"Et ta deuxième question ?"
"Pourrais tu m'apprendre à ne plus penser ?"
Il sourit. Comme je le pensais, il lisait dans mon esprit ce que je pensais quand il a eu fini de me raconter ses histoires de magie. Il se pencha vers moi.
"C'est simple. En fait tu as deux choix qui s'offrent à toi. Sois tu penses à des choses bête pour masquer tes vraies pensées, mais c'est la solution de facilité. Sinon, c'est plus dur de ne plus penser du tout. Si il y a du bruit, il faut que tu te concentres dessus et pareil si la pièce est silencieuse."
"Sur le silence."
"Exactement."
Il sourit, et, pour une fois, j'eu l'impression que ce n'était pas forcé. Je souris aussi. Hylios se remit dans le dossier, passa son doigt sur sa tempe, et le monde réapparut. Il se leva pour s'en aller, mais je le retint.
"Oui ?"
Je semblait l'énerver de nouveau.
"Toi, tu peux lire dans les pensées mais moi je sais faire quoi ?"
"Cherche et tu le sauras."
Il s'en alla.

Edanaelda - Tome 1 - Rien n'a réellement commencé Où les histoires vivent. Découvrez maintenant