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"Le village était vide.
Il n'y avait personne.
Les fenêtres étaient ornées de drapeaux flottants sur lesquels étaient inscrits un soleil.
Un soleil.
Le soleil, le vrai, n'était plus là.
Il avait disparu.
Quelques personnes étaient aux fenêtres.
Ils me lançaient des injures.
Ils me lançaient des objets.
Je me suis recroquevillée.
J'ai pleuré.
Mais il est arrivé.
Il m'a sauvée."

Je me suis réveillée en sueur. Il ne devait pas être l'heure de se réveiller, mais je le fis tout de même. J'étais dans une toute petite chambre sombre, éclairée par une seule fenêtre et une bougie que je pouvais allumer à ma guise. Devant mon lit, trônait une immense armoire de bois polie, dans laquelle attendaient, sans languir, des dizaines de robes de différentes couleurs. Tous les enfants - les filles - avaient ces robes de différentes couleurs, elles correspondaient au type de magie employé. Moi, comme Hylios, je portais du rouge, qui était la couleur des Absolus de Liéssance. En soi, je ne savais pas encore quel type de magie je contrôlais, et c'est d'ailleurs pour cela que je n'avais pas seulement deux couleurs de vêtements dans mon armoire. Je mis donc la longue robe rouge et sortis de ma chambre.

Quand je suis sortie dans le couloir, le soleil brillait et parsemait de taches lumineuses le carrelage gris clair.
"Il fait beau, n'est-ce pas ?", me demanda un jeune garçon habillé en jaune. "Vois-tu, ça a été décidé hier à l'unanimité par les Absolus de Vie. J'avoue que notre soleil n'est pas souvent aussi brillant, mais ça fait une semaine qu'il pleut, à l'est, il fallait donc changer un peu. C'est une belle journée qui s'annonce."
"Oui, c'est vrai que c'est particulièrement réussi.", répondis-je.
"N'est-ce pas ?"
Un silence s'installa. Je ne savais pas depuis combien de temps il était là à rôder dans les couloirs, mais cela devait faire un certain temps, car il avait d'immenses cernes bleues aux yeux. Il a dû regarder "son" soleil se lever, pensais je.
"Tu es bien l'Absolue de Liéssance ? On nous a beaucoup parlé de toi. Hylios est un chic type, même s'il n'en a pas l'air."
Je souris, puis je continuai mon chemin. Il n'y avait effectivement pas grand monde dans le temple, à part quelques Absolus de Vie, qui, comme leur ami, surveillaient le soleil et son avancée. Dans le hall, le plafond chantait, comme toujours. L'Absolue qui m'avait accueillie, Chelsea, était en train de le contempler.

"Bonjour, conseillère", dis-je.
"Bonjour."
Elle continuait de regarder le plafond. C'est vrai qu'il était absolument splendide et était travaillé de façon remarquable.
"Connais-tu cette chanson, dis-moi ?"
Je me tournai vers elle.
"Non, je m'en excuse."
"Elle s'appelle "eranam dentur" , ce qui signifie "quand les espoirs reviennent" en ancien edelnien. Elle est souvent chantée en temps sombres."
J'acquiesçai. Chelsea était une personne particulière, en même temps sûre d'elle, en même temps toujours à l'affût de quelque chose, quelque chose qu'elle redoute et qui pourrait réapparaître en un rien de temps.
"Aujourd'hui, Hylios va t'apprendre l'histoire des Absolus."
Hylios.
"C'est un garçon remarquable.", ajouta Chelsea.
"On me l'a déjà dit aujourd'hui."
Elle souria.
"Cela veut sûrement dire que c'est vrai."
Elle s'en alla, elle aussi. Je suis longtemps restée à contempler les reliures fines du plafond chantant.

"Ahem."
Je me suis retournée. Hylios se tenait devant moi, dans la même chemise rouge et or, la même main dans la même poche. Le même regard perçant. Je me suis alors concentrée sur la musique. Elle était si belle.
"Nous devons y aller, il se fait tard si nous voulons parler de l'histoire et trouver la magie dont tu as le pouvoir."
Je le suivit. Il était toujours aussi froid. Ça en devenait presque blessant. J'ai essayé de le penser le plus fort possible. Un chic type. Un garçon remarquable.

"C'était il n'y a pas très longtemps. C'était un jeune garçon comme toi et moi. Enfin pas exactement. Il allait être lié. Il s'appelait Seldir. Il contrôlait une magie très dangereuse, celle de la Persuasion. Il pouvait faire faire ce qu'il voulait à quelqu'un d'autre. Il pouvait par exemple convaincre un homme de se tuer. Et donc il avait si soif de pouvoir qu'il fut très tôt lié pour se canaliser. Son rêve était d'intégrer l'élite guerrière des Absolus. Mais il fallait passer des tests. Il les fit passer à sa liée après les avoir réussis. Elle échoua. Comme il ne voulait pas d'une "faible" pour liée, il l'a... Il l'a brûlée. Puis il s'est enfui."
Je ne savais pas comment contenir mon dégoût face à cette histoire. Non pas parce qu'Hylios était pour moi quelqu'un d'important ou je ne sais quoi, mais parce que d'après ce qu'on m'a raconté, l'amour des liés était plus fort que tout (même si les effets n'étaient pas du tout visibles avec Hylios), et je ne voulais surtout pas être avec quelqu'un d'assez sanguin pour me tuer sans aucun sang froid.
"Mais... Qu'est-il devenu ?"
"Aujourd'hui, on l'appelle le Maître. Il est le second Pont, celui qui relié l'Edenilde à l'Ailleurs."
On m'avait déjà parlé de l'Ailleurs. Le dernier endroit du triangle des mondes. L'enfer.
"Nous sommes censés le ramener à la raison avant que les mondes s'effondrent. Car Seldir à une sensibilité. Tout le monde. C'est ça que je devais te dire. Nous ne resterons plus ici pour longtemps. Bientôt, nous irons à Vendel, l'une des plus grandes cités/royaume d'Edenilde."
Donc nous nous en irons bientôt. Bientôt. Avec Hylios.

"Il existe plusieurs types de magie : la magie de Mouvement, qui permet de contrôler les objets, la magie de Plaisance, qui contrôle les émotions, la magie de Vie qui contrôle la nature, l à magie de Persuasion, celle de Télépathie... Enfin bref. Alia te fera passer des tests."
Alia, la femme en question, entra.
"Bonjour, jeune fille. Nous allons commencer par des tests pour des magies "classiques" et d'autres pour des plus spéciales."
Alia me fit d'abord essayer de déplacer une table. Aucun résultat. Je devais ensuite la rendre triste. Aucun résultat non plus.
Au bout d'un certain temps, les tests des types de magies classiques n'étaient pas concluants.
"D'accord. Hylios, tu ne penses pas qu'elle soit télépathe ?"
Hylios secoua la tête.
"Elle y est sensible, c'est faisable."
"D'accord. Bon." Elle me montra un caillou. "Si je lance ce caillou dans exactement quatre minutes et huit secondes, que se passera-t-il ?"
Je ressentis comme du froid dans mon dos. La balle sembla s'être illuminée et les mots sortirent tout seuls de ma bouche.
"Elle cassera la vitre, et frappera la tête de Pale, qui passera à ce moment là pour se rendre aux jardins, puis elle roulera vers l'arbre vert là-bas, avant d'être emportée par une pie."
Alia sourit.
"Une Clairvoyante, c'est plutôt rare."
Hylios se détacha du mur auquel il était adossé.
"Bien, tu porteras du blanc, quand tu n'auras plus besoin du rouge. Il faut que nous préparions nos affaires. Nous partons après-demain pour Vendel, Alia."
"Oh, oui, c'est vrai."

Stard m'aidait à préparer mes affaires. C'était le seul Clairvoyant du temple.
"Je suis content de ne plus être le seul," m'avait il dit. "Mais tu pars dans deux jours, c'est dommage. En tout cas je sais que je ne suis pas seul en Edenilde, c'est déjà ça. J'ai un point commun avec le Premier Pont ! C'est vraiment cool."
Je souris. Il ferma le sac. Il était minuscule, mais, grâce au savoir-faire des Absolus de Mouvement, il est capable de contenir un lit entier, sans peser plus lourd qu'un sac de pommes.
"En tout cas, tu as de la chance d'être avec Hylios. Il est sympa."
Il est sympa.
Ça aussi, il faut que je le retienne.

Edanaelda - Tome 1 - Rien n'a réellement commencé Où les histoires vivent. Découvrez maintenant