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J'ai pleuré toute la nuit. J'ai erré dans les couloirs vides en pensant à ce que j'aurais pu devenir. Ce que j'aurais pu être sur Terre si j'avais été comme les autres, si j'avais réussi à m'intégrer. Ce que j'aurais pu devenir sans cette stupide formation. Mais aujourd'hui, ma vie ne tient plus qu'à un fil, et celui-ci se matérialise sous forme de machine de fer et d'acier. Quand le matin s'est levé, je suis allée voir mon corps, qui s'était bientôt mon cadavre. Ma peau avait blanchi, le contour de mes yeux était légèrement bleuté. J'étais déjà un cadavre.
Quand j'ai voulu sortir, Jaymery est entré. Je n'ai alors pas bougé, de peur qu'il ne m'entende. Il s'est assis sur une chaise.
"Excuse-moi."
Je me suis adossée au mur.
"Le jeune garçon m'a dit que tu lui avais dit des choses, et je ne sais pas si tu peux m'entendre."
Silence. Je ne voulais pas faire de bruit. Car si j'en faisais, cela voulait dire que je l'entendais, certes, mais je n'étais pas à l'abri d'un second piège. Je l'ai tout de même écouté.
"Je ne sais pas si je dois croire ce qu'il m'a dit. Si ce que tu as entendu est vrai. En tout cas si ça l'est, sache que j'ai agi en croyant faire le bien. J'ai toujours agi en croyant faire le bien."
Il enfouit son visage dans ses mains.
"Dis-moi si c'est vrai. Si tu m'entends et qu'il disait vrai, si je suis victime d'un complot, dis le moi. Prouve le moi."
Au diable le piège. Si je peux lui prouver que c'est vrai et s'il se met à me croire, c'est une occasion à ne pas manquer. J'ai pris un bol sur une table près de moi et je l'ai soulevé de manière à ce qu'il vole. Jaymery l'a vu et a ouvert grand les yeux.
"M.. Mais..."
J'ai reposé le bol. J'ai soulevé un autre objet. Il eut la même réaction.
"Tu ne peux pas parler ?"
Comment lui dire non ? J'ai soulevé d'autres objets.
"D'accord, tu ne peux pas parler."
Non. Mais je peux penser. Je pourrais communiquer avec Jaymery. J'ai appris à parler dans la tête des gens au temple Absolu. Prendre la forme d'une voix. C'était plutôt complexe. Mais je pouvais toujours essayer. Je n'avais plus rien à perdre à présent.
~Je ne peux pas parler mais je peux penser. Et je peux te dire ce que j'ai entendu lorsque tu es parti.~
Est-ce que ça avait marché ? J'imagine que oui, vu le visage de Jaymery.
"Qu'ont-ils dit ? Dis-moi la vérité."
~Pourquoi te la dirais-je ? Qui me dit que ce n'est pas un autre piège ignoble ?~
"Je t'en prie. Je suis allé voir le roi hier. Je lui ai demandé si il fallait organiser une quelconque défense contre le Maître car j'avais eu des échos de guerre. Il m'a dit de ne surtout rien faire car tout était sous contrôle. J'ai trouvé ça étrange. Car rien n'était sous contrôle."
Je n'ai rien dit.
~Va me chercher Hylios. Et je saurai que je peux te faire confiance.~
Il se leva d'un bond et s'en alla. Peut-être ne reviendrait-il jamais, dans ce cas se sera à Hylios de me débrancher.

Jaymery est revenu avec Hylios.
"Voilà."
J'ai souri. Hylios semblait complètement perdu.
"Je l'ai amené, comme ça. Tu me fais confiance ?"
~Raconte à Hylios ce que tu m'a dit sur le roi et votre conversation d'hier.~
Il l'a fait. Hylios a acquiescé gravement jusqu'à la fin de l'histoire et Jaymery s'est tourné vers moi.
~Le roi a dit qu'ils devaient, pour être épargnés par le Maître, tuer l'un de nous deux. C'était le prix de son alliance. Mais une voix m'a proposé un jeu, une dernière chance. Je pouvais quitter mon corps et contrôler le temps afin de convaincre mon entourage de me libérer.~
"C'est étrange. Mais c'est une fleur qu'elle t'a faite cette personne."
~Je ne sais pas. Elle pensait que j'allais échouer.~
Hylios regarda Jaymery.
"Et maintenant", dit-il, "vous acceptez de la délivrer ?"
Jaymery réfléchit.
"J'aimerais poser une condition."
"Laquelle?"
"J'aimerais venir avec vous. Je ne veux pas rester dans ce royaume trompeur. Surtout pas."
Hylios sembla hésiter, alors je pris la parole.
~D'accord.~
"Et aussi j'aimerais que nous fassions payer au roi ses actes."
~Je suis d'accord aussi.~
Hylios acquiesça à son tour. Jaymery me demanda alors de reprendre ma place en moi même, ce que je fis. Je sentis aussitôt mes membres engourdis, le noir de mes paupières, le silence de ma tête. J'attendais. Je craignais que Jaymery eut décidé au dernier moment de s'en aller, mais ma crainte s'effaça quand la lumière du soleil m'éblouit les yeux. Je me suis levée, enfin vivante, enfin pleine, enfin libre.
Hylios me prit dans ses bras.
"Tu es vivante", murmura t il. "Vivante."
Je l'enlaça à mon tour. J'ai commencé à pleurer.
"Je... J.."
Jaymery nous regardait. Il était adossé au mur, les bras croisés et regardait d'un mauvais œil la machine à laquelle j'étais auparavant reliée. Nous sommes ensuite sortis de la pièce.
"Je veux faire payer au roi ma souffrance.", dis-je. "Plus jamais je ne ferais confiance aveuglément à quelqu'un. Plus jamais."

Jaymery entra en premier dans la salle su trône. Le plan conçu était parfait. Il allait parfaitement s'enchaîner, je le voyais.
"Mon roi", commença t il. "Je viens vous annoncer la mort de la jeune Absolue."
Une lumière s'alluma dans les yeux du roi.
"Jaymery. Je vous en ai parlé longtemps, et je pense que le jour est enfin venu. Je sais que je peux vous faire confiance. Je vous nomme chef de garde supérieur. Je vous donne le droit de commander toutes mes troupes à partir d'aujourd'hui."
Jaymery se mit à genoux.
"C'est trop d'honneur."
"Relevez vous."
Il le fit. Parfait.
"Bien, passons aux festivités. Maintenant que la jeune Absolue est morte, nous pouvons espérer une vie sereine et joyeuse comme notre cité le mérite tant !"
"Sûrement pas..."
Tout le monde se tourna vers la porte. Je suis alors entrée, suivie de près par Hylios.
"...Car je suis encore en vie."
"Comment ?!"
Jaymery empoigna le bras du roi et le tint fermement. La garde rapprochée commença à s'avancer autour du souverain.
"STOP", cria Jaymery. "Vous êtes sous mes ordres à partir de maintenant. Et je vous ordonne de rester où vous êtes."
Je me suis avancée, un couteau à la main, vers le roi immobile. La reine nous regardait de loin, sans se préoccuper de ce que nous faisions.
Hylios, quant à lui, avait fait en sorte qu'Elvirae se tienne loin. Seule la magie peut vaincre la magie.

"Sa majesté Lecrocelle de Vendel, souverain de la cité de soleil, est aujourd'hui considéré comme traître à son monde, en voulant s'allier au Maître et couper les liens avec la Terre. Il a non seulement trahi son peuple et ses alliés, mais à aussi tenté de bouleverser l'équilibre des mondes en coupant la Terre de l'Edenilde. Aujourd'hui, c'est un traître et c'est en tant que traître que nous le traiteront."
J'ai avancé le couteau.
"Réfléchis à ce que tu fais", me dit alors le roi. "Je t'ai accueilli chaleureusement, tout le monde en est témoin ici. Tu aura des ennemis aux quatre coins du monde, et aujourd'hui tu n'es rien qu'une petite humaine de Terre perdue dans monde qu'elle ne connaît pas."
J'ai commencé à tracer un "T" avec la lame sur la gorge du roi. Le sang a lentement perlé sur sa peau pâle. Il coulait le long de son cou.
"Peut-être que je suis perdue et que personne ne me connaît, mais le monde sait que vous avez voulu notre mort. Il sait aussi que vous vous êtes allié au Maître."
"R". Le sang mouillait le tissu léger de sa tunique. Il commença à déglutir.
"De plus, vous avez menti à votre homme de main. Et il ne vous le pardonnera jamais."
"A". Sa nuque était rouge.
"Réfléchis... Tu es dans un moment sanguin. Tu est si faible et si fragile... Tu le regretteras."
"Économisez votre salive, majesté, elle vous fait perdre beaucoup de sang."
"I". Le roi suffoqua. Les gardes hesitèrent à intervenir, mais un regard en biais de Jaymery les immobilisa. Hylios bloquait la porte avec une lance trouvée au mur. D'autres gardes frappaient et voulaient entrer.
"T". La reine se leva et alla près de la porte. Elle fit signe à Hylios de s'en aller et dit d'une voix claire :
"Le roi s'entretient avec son homme de main et protecteur rapproché, il exige que personne n'entre."
Elle retourna s'asseoir, et Hylios la remercia quand il vit que la porte ne battait plus.
"R". J'étais satisfaite. Le roi ne se derobait pas sous les pieds de Jaymery, il restait conscient. Hylios sortit préparer des chevaux.
"E". Hylios revint. Il avait pris trois chevaux. Vu leur allure, ils étaient faits pour la course. Quand j'eus fini, Jaymery lâcha le roi qui s'écroula par terre en toussant et crachant du sang. Les gardes voulaient venir en aide au roi, mais Jaymery les arrêta. J'ai couru vers Hylios, suivi de Jaymery. Je suis montée sur un cheval, et on a détalé.

"Tant que les gardes du pont levis de la rivière forteresse ne sont pas au courant de ce qui s'est passé, nous pourrons sortir sans problème."
Les chevaux fonçaient et la porte se rapprochait.
"Halte, qui va là ?"
"Jaymery Enstel, homme de main du roi et chef de garde."
"Pourquoi voulez-vous sortir ?"
"Ordre du roi."
Le garde haussa les épaule et ouvrit la porte. Les gardes du château hurlèrent :
"N'OUVREZ PAS ! CE SONT DES FUGITIFS !"
"Merde !"
Jaymery a sauté par dessus la barrière qui s'ouvrait, Hylios et moi fîmes la même chose. La porte se refermait quand ce fut les gardes qui voulaient passer.
"On va vite !"
On a galopé à une vitesse folle, mais nous étions dans les plaines et risquions d'être attrapés.
"Et maintenant, où va-t-on ?"
"Dans la forêt d'Erminalle. C'est un royaume ennemi de Vendel. Dans deux heures, tout le monde sera au courant de notre évasion et nous serons à Erminalle sous l'aile de la reine qui sera sûrement ravie d'avoir volé un "trésor" à son ennemi."
La forêt se rapprochait. Nous y sommes entrés et somme revenus au pas.

Plus personne ne nous suivait.

Edanaelda - Tome 1 - Rien n'a réellement commencé Où les histoires vivent. Découvrez maintenant