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Je suis rentrée dans la chambre après le dîner. J'avais bu quelques verres de vin d'Erminalle et la tête me tournait. J'avais encore les pensées bien en place, heureusement pour moi, et je me suis empressée de fermer la porte d'entrée. J'ai tiré les rideaux et je me suis engouffrée sous les draps. J'avais chaud, en même temps froid, et j'entendais des voix partout. J'arrêtais pas de leur dire de se taire mais elles ne s'arrêtaient jamais.
"Chuuuuut".
J'ai fini par m'endormir.

"Le jour se levait. Je voulais bouger mais j'étais immobile. J'ai ouvert les yeux et ai découvert que j'étais liée sur un piquet. Les cordes frottaient sur mes poignets et mes chevilles. J'ai lentement relevé la tête. Devant moi était attaché Hylios. À ses pieds étaient entassés des branchages secs et des brindilles. J'ai tout de suite compris ce que ça voulait dire.
Une jeune fille aux cheveux sombres et aux yeux violets ordonna qu'on déverse de l'huile sur Hylios.
J'ai commencé à me débattre et à hurler quand elle embrasa une torche et s'approcha du bucher d'Hylios.
J'ai hurlé, je me suis débattue.
Il brûlait.
J'ai crié.
Je n'avais plus de voix mais j'ai continué à crier et à pleurer.
Pleurer.
Je vidais les mers et ma gorge brûlait.
Hylios aussi."

J'ai hurlé. J'ai entendu une porte claquer. J'ai pris ça pour le crépitement des flammes alors j'ai hurlé plus fort.
"Mais... Chut..."
C'était la voix d'Hylios. Il était mort ou non ? Je ne savais plus. Mes poignets ne me lançinaient pas. Mes chevilles non plus. Je me suis tue. Les larmes, quant à elles, ne s'arrêtaient pas.
"Qu'est-ce qu'il y a ?"
Comment était-il arrivé là ? Étais ce un fantôme ? J'ai ouvert les yeux. Il n'y avait aucune lumière. La nuit. Ou alors nous étions morts tous les deux.
"Tu n'es pas mort", dis-je. "Et moi non plus."
Je ne le voyais pas. Mais je sentais qu'il était là. Il était là parce qu'il y avait une porte qui communiquait. Je m'en souvenais.
"Pourquoi je serais mort ?"
J'ai regardé le plafond. Mes yeux étaient perdus dans le feu. Ils étaient pleins de buée et cernés de bleu.
"Parce qu'elle t'a brûlé. Elle l'a ordonné et ils l'ont fait. Et je te voyais mourir."
Il prit mes épaules entre ses mains. J'avais l'impression de ne plus avoir d'os. J'étais comme liquide entre ses doigts. J'ai ouvert plus grand les yeux et ai vu ses iris bleues me scruter dans l'obscurité.
"Je ne suis pas mort. Je suis là."
"Et où est-ce ?"
"Ici. À Erminalle."
Ma tête semblait peser dix kilos de plus qu'habituellement. Hylios, lui semblait préoccupé par mon état.
"J'ai bu", dis-je, croyant le rassurer. "Trop, peut-être.", ai-je ajouté.
Mais Hylios était ailleurs.
"Qui est la personne qui m'a brûlé ? Tu te souviens à quoi elle ressemblait ?"
Je n'avais pas du tout l'impression que ce détail importait. L'important c'était qu'Hylios était vivant. C'est tout.
"Tu sais ce n'était qu'un rêve."
"Tu es Clairvoyante. Tes rêves ne sont pas les mêmes que les miens."
J'ai tenté de me remémorer le visage de la fille et la manière dont elle était habillée. Je ne me souvenais que des gros traits mais j'étais persuadée que si je la voyais un jour en vrai, je saurais la reconnaître entre mille.
"Elle... Elle avait les cheveux longs et noirs. Ondulés. Elle avait les yeux violets. Elle portait une robe noire déchirée qui descendait jusqu'au sol. Elle avait une sale allure mais tour le monde lui obéissait. Elle avait un diadème de piques noirs."
Hylios prêta peu d'importance aux vêtements. Il s'en fichait, même.
"Les yeux violets."
"Oui."
"Sûre ?"
"Plus que le reste."
Il eut l'air grave. Il me lâcha les épaules.
"Qui est-ce ?"
Il enfouit son visage dans ses mains.
"Je ne pensais pas devoir te le dire si tôt. Mais il fait que tu sache. Comment je suis arrivée au Temple."
Je me suis tue.
"Normalement, chaque année, des conseillers passent de villages en villages, de ville en ville, pour voir chez tous les enfants de une à vingt-deux lunes vertes si il n'y a pas d'apparition de magie. J'étais le cadet de ma fratrie, et mes pouvoirs sont devenus visibles entre vingt-et-un et vingt-deux lunes vertes. Je les avait déjà avant, mais ça ne s'est pas manifesté. Bref. Les familles en général sont heureuses de donner leurs enfants Absolus au temple pour s'en débarrasser en ayant l'impression de soutenir la bonne cause. Mais mes parents haïssaient les Absolus au plus haut point et ne voulait en aucun cas les soutenir. Si bien qu'ils ne m'ont pas donné quand on est venu me chercher. Ils ont soutenu que je n'avais aucun pouvoir et que j'étais normal. Mais ils me haïssaient. Depuis toujours. Ils voyaient bien que je n'étais pas comme ma sœur aînée. Elle s'était trouvé des tas d'amoureux et d'amis dans le village où nous étions et moi je restais loin. Et pour cause, c'était parce que j'étais l'Absolu de Liéssance, et je crois vraiment que ce détail les a affligés. Enfin. Et un jour, mes parents nous ont abandonnés, ma sœur et moi. Elle avait aucun pouvoir, mais mes parents ont craint une apparition tardive de magie chez elle et ont préféré prendre des précautions. Aujourd'hui elle vit à Est-Ermerille, et nos parents vivaient dans la ville d'Ermerille elle-même. J'ai été en fait recueilli par Chelsea alors que nous étions en train d'errer en forêt. Elle m'a pris sous son aile, mais pas ma sœur. Elle n'avait aucun pouvoir et n'avait donc rien à faire au temple. Elle a donc dû se trouver un logement et vivre seule. Elle me hait. Déjà pare qu'elle partage l'avis de mes parents et en plus parce que je suis selon elle responsable de tout ses malheurs."
Je me suis avancée près de lui et l'ai enlacé. Il semblait profondément malheureux et ça me blessait.
"Pardon", dis-je. "Pardon pour tout ce qui t'es arrivé. Pardon de t'avoir forcé à ressasser cela."
Je ne l'ai plus lâché.
"Je n'avais pas le choix. Si ton rêve signifie que je mourrai peut-être de la main de ma sœur, je suis forcé de t'expliquer cela. Au moins, maintenant nous saurons où aller en partant d'Erminalle."
"Pourquoi veux-tu y aller ?"
"Peut-être qu'en lui rendant visite elle sera moins remontée contre moi ? Qu'elle ne voudra plus ma mort ? Je ne sais pas."
"Comment s'appelle t elle ?"
J'ai lâché Hylios et il tourna la tête vers moi.
"Orella. Orella Ostanar."

Edanaelda - Tome 1 - Rien n'a réellement commencé Où les histoires vivent. Découvrez maintenant