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"Pourquoi vous ne m'avez rien dit ? La reine voulait qu'on vous trouve de l'aide et vous avez refusé. Maintenant vous voulez aller où, hein ? Vous pensez qu'on va pouvoir s'en sortir, à trois, en cavale, Vendel aux trousses ?"
Jaymery était hors de lui.
"Jaymery, la décision à été prise très rapidement. On ne pouvait pas t'en parler directement."
"Vous l'avez décidé quand ?"
"Il y a deux jours", répondit Hylios. "Il y a deux nuits, plutôt."
Jaymery haussa un sourcil, et un petit sourire lui apparut au coin des lèvres.
"Il y a deux nuits..."
Je soupira en levant les yeux au ciel.
"C'est pas du tout ce que tu crois. J'avais fait un cauchemar. Mais de Clairvoyante. Hylios m'a entendue m'agiter et il est venu me voir. C'est tout."
Jaymery se tourna vers Hylios.
"Elle s'était mise à hurler, elle rêvait que j'étais mort."
"Ah. Mais... Quel rapport avec le départ ?"
Hylios soupira.
"Elle a rêvé que j'étais tué de la main de ma sœur et du coup j'ai pensé que si j'allais la voir pour lui rendre gentiment visite elle serait plus clémente, et que peut-être ce futur s'annulerait."
Jaymery nous regarda l'un, puis l'autre.
"Mais si tu meurs de sa main, tu ne pourras jamais y échapper. C'est ton destin."
"Si", dis-je. "Aucun futur n'est certain. Tout dépend de ce que tu fais, et il peut être altéré par plein de facteurs diverses. Je ne sais pas si voir la sœur d'Hylios pourra le préserver, mais il faut tenter le coup."
Jaymery soupira.
"Soit. Je vais demander à la reine des capes sombres pour nous cacher durant le voyage et une carte pour établir un itinéraire précis."
Il s'en alla.

"Voici, messire."
Jaymery prit la carte des mains de la domestique.
"Je ne suis pas messire."
"Vous côtoyez sa majesté, vous devez être sans aucun doute une personne de qualité."
Elle s'inclina poliment et quitta la pièce. Jaymery déroula la carte sur la table en bois. Sur le haut de la carte était inscrit le mot "Edanaelda", qui signifiait "Edenilde" en ancien edelnien. Jaymery nous indiqua le temple Absolu, Vendel et Erminalle qui étaient tous trois très proches sur la carte. À peine quelques dizaines de kilomètres.
"Si ta sœur, garçon, vit dans une vallée à l'ouest d'Ermerille, il nous faudra continuer à l'est. Pour ça il ne faudra surtout pas marcher à découvert. Nous pourrons nous arrêter à Port-Mourant, puis continuer dans la forêt qui s'étend à côté. Ensuite nous arriverons normalement dans la vallée où elle vit."
Hylios acquiesça et les regards se tournèrent vers moi. J'ai regardé Hylios, puis Jaymery.
"Oui ?"
"Ça te va ou pas ?"
"Vous connaissez mieux ce monde que moi", répondis-je. "Mais oui, je pense que c'est bien."
Jaymery plia la carte et prit le tas de tissu noir posés sur le lit.
"La reine nous a donné ceci. Ce sont des capes noires avec des capuches. Avec ça nous passerons totalement inaperçu et nous ne risquerons pas de nous faire attraper."
Il donna une cape à Hylios, puis m'en donna une.
"De plus, jeune fille, je ne veux pas te voir en robe. Tu mettras un pantalon et une ceinture, sinon tu ne pourras pas emporter Rouge, et je crois que tu en auras besoin à plusieurs reprises."
J'ai acquiescé. Rouge était aussi posée sur le lit. Elle flamboyait des mille couleurs du feu sous le soleil couchant. Hylios la regardait aussi.
"Enfin. La reine m'a aussi dit qu'il était mieux que nous partions à la nuit tombée. J'ai accepté. Nous aurons encore un dernier dîner avec sa majesté."
Il plia sa cape et prit son épée avec lui. Il en avait aussi apporté une à Hylios, qui était plus classique, mais pas moins travaillée pour autant. Il prit aussi sa cape et son arme avant de quitter la pièce par la porte communiquante. Je suis restée seule avec la carte, ma cape et Rouge, et je regardais le soleil qui déclinait lentement derrière les arbres.
Nous avions de nouveau des baluchons "sans fond", et j'y mis une robe rouge que la reine m'avait donnée, des provisions, de l'eau et des vêtements chauds. J'ai enfilé des pantalons, un haut et une ceinture, à laquelle j'ai accroché un fourreau contenant Rouge. J'ai accroché tant bien que mal ma cape noire et ai rabattu la capuche. Elle couvrait parfaitement mon visage, sauf le bas, et je voyais pourtant parfaitement au dehors. Elle était pile à ma taille. On a toqué. Loupyo est entré. J'ai enlevé la capuche.
"Oui ?", ai-je demandé.
"Dame ma mère a envoyé une lettre aux autres cités de l'alliance. Elle est au courant que vous connaissez l'histoire de mon oncle et veut s'entretenir avec vous à ce sujet avant le dîner."
"Serais-ce indiscret de vous demander pourquoi ?"
"D'après dame ma mère, il aurait quelques informations concernant le Maître. Je serais présent aussi, alors tâchez de ne plus m'adresser la parole comme à un seigneur une fois aux cachots."

La reine était descendue en premier. Je l'avais suivie, et Loupyo fermait la marche. Les cachots n'étaient pas immenses, ils ne comportaient que trois ou quatre cellules, et c'était dans la dernière que se trouvait Meirion des Roses. La reine stoppa son avancée devant la cellule de son frère et ce dernier leva péniblement la tête.
"Chère sœur. Comment vas-tu ? Et mon neveu Lowray ? Il doit avoir grandi depuis tout ce temps, ça..."
"Je ne suis pas venue pour revenir à ce sujet avec toi. Tu sais ce que j'en pense."
Il sourit péniblement.
"Je vois. Quel cadeau est tu venue m'apporter aujourd'hui ? Des insultes, le blâme de ton défunt roi de mari ?"
"Tu m'as dit avoir été au service du Maître pendant un moment.". Elle me fit signe de m'avancer. "Et je connais ici quelqu'un qui serait intéressée par quelques renseignements. Je te présente l'Absolue de Liéssance, Premier Pont, amie de la Maison."
Il haussa un sourcil, l'air amusé.
"Ne devraient-ils pas être deux ? Enfin. Le Maître. Que pourrais-je en dire ? Il est... Il n'est pas si simple à corrompre. Il a du sang d'Ailleurs, il en faut pour arriver à tuer la personne que l'on aime. Ha. Il te considère toi comme une traître à ce que vous êtes, les Ponts, car c'est grâce à vous que l'équilibre est formé. Ça. Il pense que vous devriez vous allier mais il sait que tu es l'Absolue de Liéssance. Donc. C'est raté forcément. Ha."
Loupyo restait en retrait.
"C'est tout ?", demanda la reine.
"J'imagine", répondit le frère.
Elle soupira, puis se tourna vers moi.
"Nous ne pourrons rien obtenir de plus de sa part. Je suis désolée."
"Ce n'est rien."

Le dîner se passa en silence. On mangeait sans faire de bruit, on évitait le regard de la reine. Personne ne voulait irriter personne, et ça énervait tout le monde, que personne ne parle. J'ai alors pris mon courage à deux mains.
"Nous ne pourrons jamais autant vous remercier pour tout ce que vous avez fait pour nous, ma reine", dis-je.
Elle releva la tête et sourit.
"Je suis heureuse d'avoir pu vous aider. Je vous l'ai déjà dit mais vous pourrez toujours compter sur le royaume de la forêt."
Elle regarda Jaymery.
"Serais-ce indiscret de savoir où vous comptez vous rendre ?"
Jaymery releva lui aussi la tête de son assiette. Il expliqua en détail le trajet qui a été décidé. Elle acquiesça.
"Faites attention à Port-Mourant, on ne sais jamais qui y traîne. C'est une ville morte, et on y trouve la mort le plus souvent."

"Pourrions nous avoir nos chevaux ?", demanda Jaymery.
"Pardon", répondit l'écuyer, "mais vous aviez demandé à ce qu'on les garde. Alors on les a gardés. Ce sont de beaux chevaux en plus."
Hylios soupira.
"Merci Jaymery."
Celui ci se retourna, le regard noir.
"Eh bien nous n'avons qu'à dire que c'est un cadeau que nous faisons à la reine Armirelle d'Erminalle, pour la remercier de son extrême bonté."
L'écuyer fit une petite révérence et nous avons quitté le château avec des éclaireurs, les bandeaux sur les yeux.

"Ville morte.
Troupe morte.
Capes sombres.
Un prince.
Un roi.
Un voyage.
Un emblème.
Un dragon."

Edanaelda - Tome 1 - Rien n'a réellement commencé Où les histoires vivent. Découvrez maintenant