11- LIKE BOOMERANG YOU'LL COME BACK TO ME

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     La phrase de Jack résonne dans ma tête, que veut-il dire par là ? Qu'est-ce que Luanna a bien pu lui faire ?

     Cette dernière laisse tomber l'idée de le saluer, et reviens à mes côtés.

     « Qu'est-ce qu'il a ?

- Je ne sais pas Glenn, j'ai voulu être polie et lui agit comme si je lui avais coupé une jambe. C'est même plus la peine que je fasse un effort avec lui, c'est inutile. »

     Je soupire. Ces deux m'exaspèrent, l'un veut se rapprocher de l'autre, l'autre le rejette, et vice versa. Il faudrait qu'ils se décident, parce que s'ils continuent dans leur lancée, ils vont finir par se détruire mutuellement, et ça ne sera pas très beau à voir.

     Je vois Jack entrer dans une des chambres, et claquer la porte. J'irai bien le voir, mais je sens qu'il est sur les nerfs, il vaut mieux le laisser redescendre avant de lui parler.

     Je préfère me concentrer sur les personnes présentes dans la pièce, et me dirige vers celles que je ne connais pas encore. Il y a certains frères et sœurs des gars, leurs amis.

     J'observe Luanna du coin de l'oeil. Elle a l'air de s'amuser, rit et sourit. Elle ne semble pas se préoccuper du comportement de Jack, cela vaut mieux. Sa relation avec lui a été l'un des déclencheurs de sa dépression, le moins elle y pense, le mieux c'est.

      Quand à moi, je suis assez distrait, et Daniel le remarque puisqu'il se dirige vers moi.

     « Ça va Glenn ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette.

- C'est compliqué... lui répondis-je.

- Tu veux prendre l'air, pour parler ? »

      J'hésite un instant, mais finit par accepter. Nous descendons de l'immeuble et nous asseyons sur un banc sur Ocean Avenue, pour observer la mer et le soleil s'y coucher.

     « Dis-moi ce qui ne va pas, me dit-il simplement.

- Pour faire simple, aujourd'hui c'était l'anniversaire de ma petite sœur. Elle a seize ans.

- Pourquoi tu es triste ? C'est parce que tu es loin d'elle, c'est ça ?

- Non, justement. Je prends une grande inspiration et rapproche mes genoux de ma poitrine. Ça fait maintenant quatre ans que je ne l'ai pas vue. De même pour mes géniteurs. Ils m'ont mis à la porte quand j'avais quinze ans.

- Quoi ?! Mais, qu'est-ce qu'il peut se passer dans leur tête pour t'abandonner si jeune ? »

     Je ne sais pas si je suis prêt à lui révéler ça... Luanna et Këlig sont les seules personnes de ma vie à le savoir... Je n'ai aucune idée de comment il va réagir, est-ce qu'il va me voir différemment ? Est-ce que notre amitié va changer ? J'ai peur.

     « Tu m'inquiètes Glenn, ça ne peut pas être si grave, si ?

- Tout dépend de ton point de vue et de ta morale.

- Tu sais que tu peux tout me dire...

- Par où commencer... Depuis que je suis petit, je ne me suis jamais senti à ma place. Je me suis toujours senti différent, comme si je n'étais pas né dans le bon corps. Mes parents l'avaient remarqué, et faisaient tout pour le nier. Je les suppliais constamment de m'inscrire au football, mais ils refusaient. Je portais toujours des t-shirts et pantalons larges, je ne voulais pas qu'on voit mon corps tel qu'il était. Un jour, j'en ai eu vraiment marre d'avoir les cheveux longs, j'ai pris une tondeuse électrique et j'ai tout rasé. Je me suis pris une paire de claques par chacun de mes parents. Je pense que ça a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Ils m'ont envoyé de force dans un couvent pendant un an, comme si les religieuses pouvaient me laver de mes "pêchés". Je n'en suis pas ressorti changé, au contraire, mes idées étaient encore plus nettes, et je haissais mes parents encore plus qu'avant. Je le montrais dans la vie de tous les jours. L'été entre mon année de troisième et de seconde, je suis sorti un après-midi, et le soir, quand je suis rentré, toutes mes affaires étaient dans des sacs poubelle sur la terrasse. Ils avaient vidé ma chambre, changé les serrures, récupéré mon scooter. Les lumières étaient éteintes, leur voiture n'étaient pas là. Ils ne m'avaient même pas laissé un mot pour s'expliquer. J'avais quinze ans, j'étais à la rue, sans argent, sans moyen de locomotion, sans ami sur qui compter. J'ai vécu dehors pendant un mois et demi, jusqu'à ce qu'une association qui venait en aide aux jeunes à la rue m'aborde. Ils m'ont recueilli, m'ont aidé à m'assumer tel que je suis. Côté juridique, ils m'ont expliqué que mes parents n'avaient pas le droit de faire ce qu'ils ont fait, et que je pouvais me retourner contre eux. Crois-moi, j'ai sauté sur l'occasion. La dernière fois que je les ai vu, c'était au procès. Que j'ai gagné bien sûr. Mon grand-père est décédé quelques mois avant, et sur son testament, il me léguait sa maison, celle où mes parents vivaient actuellement. Bien évidemment, ils se la sont appropriée, mais la justice me l'a rendue. J'avais enfin un toit, rien que pour moi. Même s'ils m'ont abandonné, mon avocat a réussi à négocier une pension mensuelle plus que raisonnable, ce qui m'a permis de vivre aisément depuis, de mettre de l'argent de côté pour venir ici. C'est en ré-emménageant dans la maison de mon grand-père que j'ai rencontré Luanna, elle venait d'arriver dans la maison d'en face. On est devenu les meilleurs amis du monde, et c'est elle qui m'a encouragé à faire ma transition physique. Sans elle, aujourd'hui, je serai toujours dans le corps d'une femme. »

      Je lève mes yeux embués vers Daniel, il fixait la mer au loin, les yeux humides lui aussi.

      « C'est la raison pour laquelle je ne vais jamais dans la mer. Je ne veux pas me mettre torse nu, et laisser mes cicatrices à la vue de tout le monde. Je ne veux pas qu'ils sachent qui j'étais avant, et qu'ils questionnent mon identité. Je suis un homme, un demi-homme, une femme ? Je ne veux pas de ces regards méprisants.

- Ce n'est pas de ta faute, Glenn. Tu es né comme ça, c'est toi. Tu ne dois pas avoir honte de la personne que tu es, et même tu devrais être fier de ces cicatrices. C'est une épreuve de ta vie, un obstacle que tu as surmonté. Tu ne devrais pas les cacher, au contraire. Montre au monde entier le courage que tu as, montre-leur que être soi-même, c'est la chose la plus importante au monde. »

      J'éclate en sanglots, je ne m'attendais vraiment pas à ce qu'il réagisse comme cela. Je pensais qu'il allait être réticent, mais pas du tout, il semble me regarder de la même manière. Il me prend dans ses bras, chose qui me surprend. Il dépose un furtif baiser sur mon front, ce qui me laisse perplexe. Au final, a-t-il le même comportement qu'avant ?

      « Tout ça pour dire, c'était l'anniversaire de ma petite sœur aujourd'hui, et depuis le procès, mes parents m'ont interdit de la voir, de l'appeler, de la contacter. Je ne peux même pas lui envoyer une carte, ils la brûleraient.

- Tu as bien fait de ne pas retourner chez eux, ce sont des monstres. Ils ne devraient même pas rester en liberté, ils méritent la prison... »

      J'hausse les épaules. Je ne peux rien y faire.

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*point de vue : Luanna*

      Ça fait plus d'une heure que Glenn et Daniel sont partis, je commence à m'inquiéter un peu. Je vais pour lui envoyer un message, quand je sens une présence à côté de moi, quelqu'un s'est assis sur le canapé. Je lève la tête, et, ouah, quelle surprise, Jack.

     « Qu'est-ce que tu me veux, Jack ? Qu'est-ce que je t'ai fait encore ?

- Je... Je voulais m'excuser pour tout à l'heure, je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça.

- Si, tu le sais, t'as juste pas envie de me le dire.

- Tu as raison, je le sais. Je me suis lié d'amitié avec toi. Je sais que ce n'est pas forcément réciproque, mais moi je t'aime bien. Ça fait un mois que tu n'as pas donné de nouvelles, que tu ne réponds pas aux messages, que tu ne veux voir personne. Je me suis inquiété à un point, je ne savais même pas si tu étais vivante, si tu étais aux États-Unis ou si tu étais rentrée en France. Je me suis fait tous les films possibles dans ma tête. Hier, je me suis fait à l'idée que tu ne voulais pas de nous, de moi. J'ai enfin réalisé que, peut importe à quel point j'essayais d'entrer dans ta vie, c'est pas ma décision, je ne peux pas forcer. C'est à toi de choisir, pas à moi. J'ai compris que ce n'était plus à moi de faire des efforts. Je les ai fait. Maintenant, c'est de ton côté. Si tu me veux dans ta vie, appelle-moi, envoie-moi un message, viens frapper à ma porte, je serai là, je répondrai toujours. Mais au contraire si tu ne veux vraiment pas de moi dans ta vie, par pitié, dis-le moi, et ne me laisse pas espérer. D'ailleurs, si tu as une réponse, là, maintenant, tout de suite, je t'écoute.

- Je... je ne sais pas quoi te dire... Je ne sais pas, dis-je tremblotante.

- C'est un bon début, il y a au moins une partie de toi qui veut bien de moi. Il se lève, commence à se diriger sur le balcon. Tu ne m'as pas dit non, et c'est une très bonne nouvelle. Ça veut dire que mes efforts ont payé. Je sais maintenant qu'un jour, tu viendras à moi, comme un boomerang. Tu as commencé à t'attacher à moi, et ce n'est plus qu'une question de jours avant que tu ne l'avoues. »

I DEPEND ON YOUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant