Le lundi matin, Rayan entra dans la salle des profs en ouvrant son manteau en feutre gris pour y laisser rentrer la chaleur du lieu. Il eût à peine passé la porte que l'odeur du café bas de gamme qu'il avait appris à aimer vint chatouiller ses narines.
« Rayan ! » l'accueillit sa collègue Charlotte depuis la photocopieuse.
Les salutations étaient de rigueur, et Rayan ne s'y déroba pas, au contraire. Il avait rencontré Charlotte en venant emménager à Anteros. Il lui avait fallu quitter son ancienne ville, tout était trop douloureux là bas. Il avait perdu pas mal d'amis en déménageant, mais ils lui rappelaient trop Chloé. Il n'y connaissait personne alors, et ne savait pas par quel bout commencer cette nouvelle vie dans laquelle il s'était lancé un peu à l'aveuglette.
C'était avec un nouveau souffle hésitant qu'il s'était fait muté. Depuis deux ans et demi , il vivait de nouvelles choses, et continuait de se reconstruire doucement. Ça n'empêchait pas les cauchemars de revenir de temps en temps, mais il se retrouvait peu à peu dans cet exil volontaire.
Charlotte l'avait tout de suite attendri. Cette femme rayonnante, un peu tête de pioche mais généreuse à l'extrême, avait su détecter son côté sensible. Elle ne savait pas, au début, pour Chloé. Ça ne l'avait pas empêchée de sentir ce fantôme qu'il se traînait, et de ne jamais manquer une occasion de le sortir ou de lui remonter le moral.
« Quoi de neuf Charlotte ?
- Oh moi, tout va bien. Et toi ? Déjà vendredi matin tu avais cette tête de bienheureux, je pensais que c'était dû à l'approche du week-end, mais tu l'as encore, et on est lundi. »
Rayan écarquilla les yeux, un peu honteux de ne pas avoir su se contrôler et dissimuler un minimum la joie qu'il ressentait depuis la soirée au restaurant avec Prune et ses parents.
Charlotte partit d'un rire clair.
« La tête que tu tires ! Vas-y, balance, c'est quoi ton secret ? Les partiels approchent et en fait, au fond de toi, tu adores torturer les étudiants ? Voir leurs têtes fatiguées et désespérées de bon matin alors que les exams vont les manger tous crus ? Les voir se battre avec leurs notes et essayer de rattraper tout un semestre de travail en une semaine ? »
Rayan pouffa de rire. Il se défit de son manteau et du foulard vert qui protégeait son cou du vent froid du dehors.
Il se débarrassa de ses affaires et alla se prendre un café à la machine. Située au rez-de-chaussée du bâtiment d'anglais, la salle des professeurs était plus longue que large, prenant tout le côté d'un couloir, et donc profitait d'une grande suite de fenêtres qui rendait l'espace lumineux, sauf les jours de tempête. Au nord de la salle, les machines à café et les photocopieuses, au sud, une large bibliothèque qui contenait manuels et livres de références. Le long du mur donnant sur le couloir, des casiers avaient été installés pour les membres du corps enseignant. Les élèves avaient le droit d'y venir déposer des dossiers ou des projets à rendre, mais leur présence n'était jamais acceptée plus de quelques minutes. Par le passé, certains en avaient profité pour glaner des informations qu'ils n'étaient pas censés connaître. La salle avait été aménagée avec de grandes tables hexagonales pour que les professeurs puissent s'installer pour discuter ou travailler.
Ce matin, la salle était vide, si ce n'était pour eux et deux autres collègues, plongés dans des notes.
« Non, pas vraiment. »
Rayan touilla son café en revenant à son amie. Il s'adossa contre une photocopieuse.
« Bien que voir les élèves qui ne viennent jamais en cours avoir un soudain intérêt pour moi et ce que j'enseigne, et les voir galérer, ça a un côté satisfaisant, avoua-t-il avec un sourire en coin en prenant une première gorgée de son café fumant.
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La Vie Désespérée d'une Empotée
FanficLa relation entre Prune et son professeur d'Art Moderne, Rayan Zaidi, s'intensifie, et se complexifie. Pendant ce temps, elle essaye de redevenir l'amie de Nathaniel, ce garçon que, pour une raison inconnue, tous ses autres amis ont décidé de renier...