Obscuras Tome 1 : L'insaisissable.

36. Machination.

Je passai lentement mes doigts sur la statue de pierre face à moi, laissant le froid de la matière pénétrer ma peau. Un sourire franchit mes lèvres, tandis que j'abattis ma main sur la statue de pierre, la réduisant subitement en vulgaire tas de cendres.

Ce pouvoir était mon préféré de tous. Réduire ce qui m'entourait en cendre me procurait un sentiment inégalable de satisfaction. J'adorais sentir la chaleur me parcourant les veines, avant que les cendres ne se mettent à jaillir à ma guise. J'adorais voir les objets et la chair se décomposer à mon simple touché. Qui aurait pu croire qu'un pouvoir aussi destructeur pouvait produire un sentiment aussi jouissif ?

- Qu'est-ce que tu fais ? me demanda subitement une voix, provenant de derrière-moi.

- Je m'exalte, répliquai-je, un sourire au bord des lèvres.

- Mais les statues n'étaient pas destinées à devenir un monticule de cendres, me reprocha Ange en s'avançant à mon côté.

Je haussai les épaules. Ce n'était pas pour une statue en moins... Il n'y avait pas de quoi faire un scandale. Les statues en ce lieu, il y en avait des tas.

- On arrive bientôt à la date limite, lui appris-je subitement, un sourire de satisfaction accroché au visage.

Ange écarquilla les yeux.

- Tu as su localiser leur repaire ?

- Depuis bien longtemps, ce n'est pas comme s'ils étaient les rois du camouflage.

Je retins un sourire. Que les êtres vivants pouvaient être naïf. La destruction de leur monde se jouait lentement sous leur nez, et ils s'évertuaient à croire que tout allait s'arranger, qu'il y avait une issue. Mais il n'y en avait pas. Ce monde allait changer. Basculer. Plus rien ne serait comme avant. Et j'avais hâte.

Mais chaque chose en son temps.

- Vu la situation délicate dans laquelle ils se trouvent, ils ne prennent pas assez leur précaution, fit remarquer Ange, tout autant affligée par leur stupidité que moi.

- Et pourtant, la reine n'a rien vu. Elle est bien plus aveugle et impotente que je ne le pensais, ricanai-je.

Je ramassai ma cape à capuche gris sombre que j'avais accroché aux bras d'une statue et l'enfilai avant de sortir du lieu dans lequel je me trouvais.

- Que comptes-tu faire ? me demanda Ange, se lançant à ma suite.

Je me doutais bien qu'elle dût être inquiète. Elle n'était pas habituée à ce genre de situation. Ce n'était pas dans sa nature. Mais elle avait insisté pour me seconder et quand elle s'y mettait, elle pouvait se montrer aussi têtue que moi. J'avais fini par céder. Et son moment pour passer à l'action n'aller pas tarder à venir.

- J'ai donné un délai d'une semaine, demain, ce délai prendra fin, expliquai-je. Tout a été calculé. Eudora pense probablement que le temps du délai n'a aucune importance, mais si je l'ai choisi, c'est parce que la date tombait à pic.

Ange fronça les sourcils.

- Qu'est-ce qu'il y a de si important aujourd'hui ? me questionna-t-elle.

- Je savais que la fin du délai coïnciderait avec les sentiments à vif d'Eudora. En ce moment même, elle est occupée de faire une crise d'angoisse inexplicable aux yeux des autres. Mais contrairement à ce qu'elle aurait fait si elle n'avait pas eu sa vie chamboulée, elle ne va pas se contenter de laisser la panique prendre possession d'elle. La haine prendra le dessus. Mais Eudora ne sait pas encore gérer sa haine, sans s'en rendre compte, elle va exposer une part de vulnérabilité. Et je sais parfaitement comment m'y prendre pour m'en emparer et saisir cette opportunité.