Partie XVII

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Nous sommes assis face à face, et de manière mécanique, j'ai déconnecté mon cerveau de toute rationalité et ai gentiment regagné la petite prison mentale qui abrite jalousement ma relation avec toi. Mais ce soir, le lien semble plus ténu. Les barreaux de ma bien-aimée cage m'ont l'air plus espacés, comme s'ils m'incitaient à m'évader. Une lassitude inédite entache le bonheur que j'ai de te voir. Tu ne sembles pas t'en apercevoir. Je crois que ton ignorance me plaît.

Ta main est dans la mienne, déclenchant des micro-décharges électriques bien moins fortes que d'ordinaire. Mon corps réagi encore au tien mais mon esprit divague. Il navigue sur l'océan de souvenirs que nous partageons, sans jamais accoster. Je suis en train de réaliser que peut-être que je ne suis amoureuse que de l'idée de nous, de toi.

J'ai dû partir trop loin car tu t'es finalement rendu compte que je n'étais présente que de corps. Je lis dans tes yeux une inquiétude grandissante tandis que ta main serre plus fiévreusement la mienne. Je n'ai presque pas de réaction, si bien que tu te lèves pour faire le tour de la table qui nous sépare, repousses ma chaise et mets un genou à terre en posant ta tête sur mes cuisses. Machinalement, je te caresse tes cheveux et je crois que ce geste me ramène peu à peu vers toi, sans pour autant me donner envie de mouiller mon ancre. Finalement j'ai peut-être une chance de guérir de toi.

Tu commences à parler, à donner des explications auxquelles je ne prête pas la moindre attention. Quand j'ai entendu ta voix au téléphone plus tôt, les réminiscences du passé m'avaient assez embrouillé l'esprit pour me faire replonger. Te voir a eu l'effet contraire. En te regardant, je revis mon entrevue avec Elle. J'entends sa voix hautaine qui me ridiculise, je revois son rictus méprisant. « Tu n'es qu'un jeu, une passade ». Cette phrase me fouette le cœur sans arrêt. J'ai besoin de savoir.

Je relève ton visage afin que tu me fasses face et découvre tes larmes qui m'intriguent mais que je choisis d'ignorer.

Mes premières questions sont timides, mais très vite toute retenue disparaît. Je t'interroge sur tout. Elle et toi. Toi et moi. Les autres et toi. A chacune de tes réponses, mon cœur se serre et un mur en béton armé commence à s'ériger tout autour. J'ai l'impression de me réveiller d'un long rêve. Tu parles de plus en plus vite en cherchant désespérément mon regard, conscient que mon cœur accompagnait mes yeux dans leur fuite.

Soudain, ma limite est atteinte. J'en ai entendu assez. Il faut que tu t'en ailles, que ton visage que je chéris soit hors de ma vue afin que je puisse faire le point.

Ce soir, aucun sentiment de tristesse tandis que je t'observe monter dans ta voiture. Juste un éreintement complet et une douleur sourde dans le cœur.

J'ai pris place dans mon hamac et la douceur de la brise qui caresse mon visage me fait du bien. Mon voyage au pays des souvenirs reprend tout doucement.

Notre première sortie au restaurant et l'air choqué de l'hôtesse d'accueil quand tu lui as expliqué que c'était notre premier rendez-vous et que j'avais préféré un restaurant à volonté plutôt qu'un qui m'aurait obligé à faire un arrêt au fast-food après.

Après le dîner, pendant qu'on se baladait au bord d'une plage, une pluie diluvienne nous avait surpris et nous avions décidé que tant qu'à être trempés, un bain de nuit serait parfait.

Je n'ai hésité qu'une demi-seconde à accepter ta proposition d'ôter l'intégralité de nos vêtements, bien qu'étant de nature très pudique.

Mais avec toi, toutes mes insécurités disparaissent, chassées par la manière dont tes yeux me dévorent et me donnent l'impression d'être unique. Je suis quasiment sûre que c'est ton regard qui m'a fait tomber amoureuse. Le sentiment d'être réellement vue, pas juste parce que tu serais conscient d'avoir quelqu'un en face de toi mais parce que tu as envie de me voir. Moi. La vraie moi, pas aussi drôle que les autres le pensent et bien moins sûre d'elle qu'ils croient. Je t'ai laissé voir mon vrai visage, te pensant inoffensif et me voilà punie pour le reste de ma vie.

Ce que j'aurai aimé que tu sachesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant