Partie VIII

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Nous sommes devant chez moi depuis une heure. J'ai conduis sans vraiment réfléchir, en m'assurant uniquement que tu me suivais bien. Une fois arrivée devant ma maison, tu es descendu de ta voiture et t'es installé sur le siège passager de la mienne. Depuis nous sommes là, chacun fixant droit devant soi, n'ayant pour contact que nos doigts entrelacés tellement fort que leur jointure blanchissait. Je suis dans l'incapacité de te regarder tant mes émotions sont en pleine effervescence.

 Etrangement, je suis forcée de constater que je ne ressens pas uniquement de l'excitation ou de la passion. Je suis aussi en colère. Contre la situation, contre ma faiblesse, contre la tienne, contre moi et contre toi. Les quatre semaines loin du tourbillon de notre liaison m'ont permis de faire un bilan libre des œillères qui obstruaient mon regard sur notre état. De ce fait, je ne pouvais plus fermer les yeux sur le fait que tu n'avais pas été honnête au départ en me cachant ta relation, me laissant m'attacher plus que je ne l'aurais dû. Pire, par tes agissements et tes paroles tu favorisais cet attachement. C'est l'objet de la plus grande partie de ma rancœur. Je t'en veux aussi de ne pas me laisser partir, d'avoir cherché à me rattraper à chaque fois que je tentais de m'éloigner de toi. Je sais que c'est minable de ma part de te mettre ça sur le dos mais de toute façon je ne formulerai jamais cela à haute voix. 

En effet, je suis là, à même pas dix centimètres de toi, un torrent de larmes se déversant sur mon visage et pourtant je reste muette. Je n'aurais jamais imaginé que l'être humain puisse être capable d'éprouver autant de sentiments à la fois. J'ai envie de te gifler et de t'embrasser. J'ignore si le feu qui me ronge de l'intérieur est dû à la rage ou à la passion. La seule chose dont je sois sûre c'est que j'ai soif de toi.

J'ai besoin de toutes ces petites attentions qui ont fait naître mon addiction à toi. Tes douces caresses dans mon dos les jours gris, tes blagues qui me font rire dans les pires moments ou encore ta manière de m'embrasser dans le cou pendant que je cuisine. Nos longues conversations tard le soir, blottis l'un contre l'autre en chuchotant comme des ados qui ont peur de se faire prendre. C'est l'une des choses qui me plaît le plus avec toi. Etre capable de parler de tout et de rien. De tous les genres de musique, de séries, de dessins animés, de politique et des derniers potins qui circulent. La petite bulle qui se forme autour de nous à chaque fois qu'on est ensemble est idyllique et même en étant lucide quant à l'aspect illusoire de ce lien j'ai du mal à m'imaginer sans ses instants privilégiés. Je maudis mon esprit critique qui ne cesse de me rappeler que je ne fais que m'enfoncer dans un cul-de-sac et que je me retrouverai bientôt sans aucune issue. Je me souviens subitement d'une phrase qu'un de mes professeurs à l'université avait noté sur une de mes copies « Votre esprit analyse de manière critique et juste le monde qui vous entoure, ce sera à jamais votre plus grande bénédiction et votre plus grand malheur. » Je souris amèrement en constatant la justesse avec laquelle cette annotation s'était avérée vraie.

Le fait est que, oui, je suis parfaitement consciente de foncer droit dans un mur mais un côté kamikaze que j'ignorais me pousse à continuer dans la même direction. Intérieurement je me condamne et me console à tour de rôle. Mais au fond, je sais que ce n'est pas de ma faute. On ne choisit pas de qui notre cœur tombe amoureux. Et lutter contre des sentiments sincères reste la bataille la plus cruelle qui soit.

Tu finis par bouger, ce qui me tire de cette introspection et je réalise que mes larmes ne coulent plus depuis un moment. Je me décide à tourner la tête vers toi et découvre un visage aussi trempé que le mien et un regard vide. Cette vision me porte un coup violent au cœur mais je ne laisse rien paraître. Après une courte hésitation, je plonge la main dans ma boîte à gant, y saisi deux mouchoirs, t'en tends un et m'essuie le visage avec l'autre.

Tes yeux sont dans les miens et j'y lis la même douleur. Alors contre tout bon sens je décide encore une fois d'ouvrir grand la porte aux tourments de ma relation avec toi. « Entrons » t'intimais-je en claquant la portière de ma voiture. 

Ce que j'aurai aimé que tu sachesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant