Chapitre 2 - Par hasard

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Enfant, Eden avait été bercée par les morceaux préférés de jazz de sa grand-mère, Suzanne Coven.

Georgia on my mind avait été la musique qui l'avait faite tomber amoureuse des sons. Alors que les autres enfants de son école suivaient la mode dite actuelle, la petite fille avait été fière d'afficher un univers musical bien affirmé.

Vivre dans un ranch faisait déjà d'elle une gamine différente des autres, alors elle s'était dit qu'elle n'était plus à cela de près... Après tout, dans sa famille, la normalité n'avait jamais été considérée comme quelque chose de si formidable. Dans la famille Coven, l'originalité primait sur tout le reste.

C'était à l'âge de sept ans, qu'Eden avait annoncé son désir d'apprendre à jouer du piano, ce merveilleux instrument noir et blanc qui lui donnait l'impression d'être devant une œuvre d'art. Il était grand. Il était puissant. Il était complexe. Il était brillant. Il demandait une technique parfaite. Mais il pouvait apporter tellement de satisfaction et de magie que ses petits défauts n'étaient plus.

Ses débuts n'avaient pas été faciles, comme pour tout apprenti-musicien. Mais à force de persévérance dans sa pratique et d'une résistance mentale à toute épreuve, d'une joueuse maladroite et peu sûre d'elle, Eden était peu à peu devenue une pianiste remarquable.

Durant sa dernière année de lycée en Angleterre, puisque sa mère avait fini par quitter le Canada pour la capitale british par amour pour son mari, la jeune fille avait gagné deux concours et avait reçu les mérites de son professeur de piano attitré.

Pourtant, à son entrée à l'université en classe de musicologie, tout son talent autrefois félicité, avait semblé soudainement bien faible.

Alors parce qu'elle avait besoin de plus de pratique encore, et d'argent aussi, elle avait cherché un boulot. Dans un bar, dans un orchestre, dans une école associative, elle avait épluché toutes les petites annonces. Mais c'était finalement grâce à du bouche-à-oreille qu'elle avait fini par intégrer l'équipe des musiciens de ce petit pub.

Seulement allier études et travail s'était avéré difficile, à tel point que la jeune femme avait raté sa première année et avait dû mettre un stop à son cursus l'année suivante pour prendre ses repères et surtout faire rentrer suffisamment d'argent pour subvenir à ses besoins.

Puis était arrivé le moment où elle avait réussi à tout concilier.

La journée, la jeune femme apprenait la théorie et l'histoire des plus Grands. Le soir, elle mettait en application ses cours et surtout, laissait sortir la musicienne éternellement amoureuse de son Saint Graal. Et en cette soirée fraiche, une fois de plus, Eden avait quitté la rive de la réalité pour un monde en noir et blanc, uniquement bercé par les vibrations des touches du magnifique piano à queue qui reposait dans la salle aux lumières rouges tamisées.

Pour toute personne étrangère à Eden, la jeune femme jouait un morceau du grand Ray Charles. Pour les employés du bar par contre, c'était évident que celle-ci était partie loin, très loin dans son monde.

Seule, seulement éclairée par un rond de lumière, survolant la mer, ou bien le ciel, ou bien la galaxie, Eden laissait libre court à son imagination. Comme chaque soir, elle voyageait. Et pour le plus grand bonheur des abonnés du commerce, elle leur proposait des beaux tableaux rien qu'avec de simples pluies de notes.

Comme bien souvent, les tables rondes avaient été dressées de telle façon à ce que les gens se croient dans un pub américain des années 60. Pourtant, dans ce petit bar Londonien, en ce début d'automne 2015, seule la décoration et la musique faisaient un clin d'œil à cette période tant adorée par Eden.

Charmante essenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant